Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 39.djvu/923

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

considérables les pierres et les boues arrachées aux parois du trou de sonde. Tous ces débris retombaient ensuite sur le sol au grand effroi des ouvriers, qui se garaient du mieux qu’ils pouvaient. C’était en petit l’image d’une éruption volcanique, moins la flamme, ou si l’on veut l’incandescence. Un de ces puits, ouvert l’année précédente, avait amené au jour un soffione d’une puissance telle qu’on entendait de dix lieues à la ronde le sifflement de la vapeur ; on eût dit une dizaine de locomotives gémissant à la fois. Le jet était si fort qu’on ne put l’emprisonner pour le conduire sous les chaudières. Il fallut se résigner à boucher et à condamner le trou. Si les fumerolles ne contenaient pas des gaz attaquant les métaux comme l’hydrogène sulfuré, on voit qu’il y aurait en eux, dans certains cas, un réservoir de force mécanique que l’on pourrait utiliser. C’est de la même façon que les Chinois font des trous de sonde pour retirer du sol le gaz d’éclairage, et qu’on a creusé récemment aux États-Unis, dans l’état d’Ohio par exemple, des puits pour l’extraction de l’huile minérale.

La profondeur à laquelle on rencontre les vapeurs des soffioni n’est pas assez considérable pour en expliquer la haute température. On sait que la chaleur augmente d’un degré centigrade par 30 ou 35 mètres de descente sous le sol, et partant ce n’est qu’à environ 3,000 mètres qu’on trouve la température de l’eau bouillante, soit 100 degrés. Or les sondages de Monte-Rotondo n’atteignent jamais 100 mètres. Il est donc probable que les soffioni viennent d’un foyer inférieur, ou que leur température est empruntée à des phénomènes électriques et chimiques que nous ne pouvons qu’entrevoir.

Désireux d’aller visiter les divers établissemens de M. Larderel pour étudier dans son ensemble cet étrange phénomène des fumerolles chargées d’acide borique, que jusqu’à ces derniers temps la Toscane seule présentait et qui ne s’est depuis retrouvé qu’en Californie, je pris congé de mes aimables hôtes. Tomi et M. Durval, ainsi que son ingénieur, M. Meil, voulaient à toute force me retenir à Monte-Rotondo, mais la science l’emporta sur l’amitié. Tout le long du chemin, jusqu’à l’établissement central de Monte-Gerboli, appelé en l’honneur de son fondateur du nom de Larderello, on traverse une série de soffioni. De loin en loin se présentent des fabriques, notamment à Sasso, Lustignano, Serrazzano ; puis viennent Castel-nuovo et Monte-Cerboli, ces deux derniers sur le bord de la route. L’aspect si particulier de ces fabriques, les dômes en maçonnerie recouvrant les soffioni emprisonnés, les canaux quelquefois suspendus en l’air qui conduisent les fumées sous les chaudières, en d’autres points les bassins étages ou les anciens lagoni, enfin les ateliers en plein vent où s’évaporent et se cristallisent les eaux, les étuves où l’on sèche l’acide, et au milieu des usines une odeur pénétrante