Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 39.djvu/920

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des lagoni d’acide borique. Cet aimable compatriote me fit le plus gracieux accueil, et je m’installai chez lui sans façon. Tomi me fit cependant promettre, pour ce jour-là, d’aller partager son dîner à la vingt-quatrième heure du jour, alle ventiquattro, comme on dit dans la Maremme. On y compte les heures comme à Rome, à partir du coucher du soleil ou de l’Angelus du soir et en faisant un double tour de cadran. Ce système, renouvelé des Latins et en usage aussi chez les astronomes, n’est pas sans embarrasser au premier abord les étrangers qui parcourent la Toscane, lorsqu’ils demandent l’heure aux passans. L’horloge de Monte-Rotondo indiquait le temps d’une autre façon et sonnait par séries de trois heures. La mécanique ne pouvait battre davantage, et Tomi avait, je ne sais pourquoi, décoré le réveille-matin de son village du nom d’horloge à la française. C’était sans doute une manière de complimenter notre nation, qu’il aimait beaucoup. Cet excellent homme était plein de, bons sentimens et faisait partie de la confrérie de la Miséricorde. Les membres de cette antique institution, particulière à la Toscane, enterrent les morts et portent, en remplissant ce pieux devoir, une robe noire de pénitent dont le capuchon se rabat sur la figure. C’est une façon de faire le bien en se cachant, et l’on dit qu’à Florence, où les plus grandes familles sont de la confrérie, le grand-duc lui-même se rendait quelquefois incognito à l’appel de la cloche des frères de la Miséricorde. Léopold avait d’ailleurs pour les Toscans une sorte de paternelle affection. Il visitait chaque année la Maremme, et son souvenir y vivra longtemps ; j’entends celui de l’homme, et non celui du prince autrichien. À Monte-Rotondo, Tomi me rappelait que l’année précédente le vieux prince, en voiture découverte, la seule qu’on avait pu trouver à Massa, était arrivé par une pluie battante, au grand mécontentement du ministre qui l’accompagnait, et qu’il força comme lui à se mouiller jusqu’aux os. À Monte-Bamboli, les mineurs m’avaient aussi raconté qu’en attendant le dîner que son maître d’hôtel préparait à Massa, le grand-duc, pressé par la faim et sortant de visiter les mines, s’était tranquillement installé à la cantine des ouvriers. Ce sans-façon, cette familiarité plaisaient beaucoup aux Maremmans, et Tomi me raconta nombre de ces anecdotes en m’accompagnant vers les soffioni.

Ces jets de vapeur, d’une haute température, sortent de terre avec fracas, et sont aujourd’hui exploités pour l’acide borique qu’ils renferment. Autour des points où ces phénomènes volcaniques se présentent, le sol est complètement dénudé, impropre à toute culture, car il offre un degré de chaleur très élevé. Le terrain est fissuré, et l’on voit par momens s’échapper de ces fentes des fumées plus ou moins visibles, s’arrêtant à la surface du sol quand le temps est humide. C’est à ces signes réunis ou isolés que l’on reconnaît la