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habileté dans les travaux de mines et la pratique d’instrumens de précision, comme le niveau, l’équerre d’arpenteur et la boussole, que les Étrusques ne connaissaient pas. Il y a mieux : les mines étaient réglementées à Massa avec un soin minutieux, comme elles le sont aujourd’hui dans les gouvernemens centralisés, par exemple en France. La loi massétane des mines, qui remonte au moins à l’an 1200, formait le quatrième chapitre du code de la république, et j’ai vu à Florence, à la bibliothèque des Uffizi, un très beau manuscrit de ce code. Il est sur parchemin, en forme d’in-folio, splendidement recouvert d’une reliure en maroquin rouge du Levant. On peut dire que c’est la dernière édition, car il date de 1325. L’écriture est une belle gothique ; les premières lettres de chaque page sont ornées et peintes, et le latin souvent macaronique. Ce recueil de lois est dans tous les cas une œuvre des plus remarquables, non-seulement pour le temps où il a été produit, mais encore pour notre siècle. C’est ainsi que dans le code des mines le législateur a prévu avec une sollicitude remarquable tous les cas possibles d’une exploitation minérale. J’ai même rencontré en Toscane un plaisant avocat du barreau de Livourne qui prétendait que Napoléon, quand il promulgua la loi des mines de 1810, s’était non-seulement inspiré de la loi massétane, mais n’avait fait que la copier. Les jaloux Italiens nous accusent du reste de bien d’autres plagiats ; la difficulté pour le cas présent est qu’au commencement de ce siècle le manuscrit de Massa, dont on soupçonnait seulement l’existence, n’avait pas encore été retrouvé. Il n’a été déchiffré que tout récemment, en 1853, par M. Bonaini, alors surintendant des archives grand-ducales, qui a mis gracieusement le code original à ma disposition. Il faut s’armer d’une grande patience et ne pas trop s’effrayer des abréviations et tournures latines du moyen âge, si l’on veut y lire un à un les quatre-vingt-six articles composant la loi des mines de Massa.

Tous ces articles sont également dignes d’attention ; mais ce n’est pas le lieu de les citer. Disons seulement, en réponse à l’avocat livournais, que Napoléon, s’il avait eu connaissance de la loi massétane, s’en serait certainement mieux inspiré. Ainsi il est triste de le dire, mais les articles du code massétan annoncent des principes de libéralité et d’intelligente protection dont la loi française est loin de faire preuve envers l’industrie minérale et métallurgique du pays. Chez nous, tout procède par longues enquêtes, par instructions successives qui fatiguent le demandeur. À Massa, dans les trois jours de la demande ou de la découverte, une mine était concédée[1]. Des

  1. Le grand principe de la loi massétane est que la propriété du dessus n’emporte pas la propriété du dessous, principe opposé à celui du droit romain et proclamé pour la première fois en France par Mirabeau devant l’assemblée nationale. C’est à la suite du discours du grand orateur, le dernier qu’il prononça et l’un de ses plus éloquens, que fut promulguée la loi des mines de 1791, qui a précédé celle de 1810.