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au milieu des maquis ; mais mon temps était limité, et je quittai bientôt Monte-Bamboli, me dirigeant vers Massa. Cette ville est l’ancienne capitale de la Maremme, d’où lui est venue l’épithète de marittima, accolée à son nom moderne. C’est aussi un moyen de la distinguer de Massa près Carrare, plus connue en France que la Massa de la Maremme, mais certainement moins curieuse.

Ayant renvoyé à Montioni le cheval qu’on m’avait prêté, j’enfourchai une mule au pied solide qui me fut offerte à Monte-Bamboli. La bonne bête connaissait si bien la route pour la faire d’ailleurs tous les jours, que je n’eus qu’à la laisser aller librement, la bride sur le cou. À pied, derrière nous, marchait Livorno, le postino ou estafette de la mine, qui chaque jour allait à Massa pour les dépêches et les provisions. Livorno devait son sobriquet au nom de sa ville natale. Il avait, paraît-il, quelque peu guerroyé en 1848, et avec les patriotes toscans contribué pour sa part à chasser le grand-duc, que les baïonnettes et les canons de l’Autriche ramenèrent quelques mois après à Florence. Bien qu’ayant porté le mousquet et fait don, à ce qu’il prétendait, car il était borgne, d’un de ses yeux à la liberté italienne, Livorno n’en était pas moins resté timide et peureux. On allait même jusqu’à prétendre que pendant la bataille il avait fait comme Sosie, qui avait fui sous les tentes,

Et pris un peu de courage
Pour les gens qui se battaient.


Aussi glissa-t-il prudemment sur la narration de ses campagnes, que je n’ai jamais pu lui arracher que par lambeaux, et préféra-t-il me faire le récit détaillé de la rencontre malheureuse de birbanti qui deux années auparavant l’avaient arrêté au milieu des maquis. Livorno me disait, encore tout tremblant, qu’ils lui mirent le couteau sur la gorge pour lui ôter toute idée de crier, et le dévalisèrent de tous les francesconi égarés au fond de ses poches. Ils lui enlevèrent ensuite sa montre, une sorte de globe en argent qu’il venait d’acheter au seul et unique horloger de Massa, et dont il pleurait encore la perte en me la racontant. Ces impudens coquins passèrent ensuite à la cantine de la mine, où ils achetèrent, comme de vertueux passans, de quoi aller faire merenda, c’est-à-dire un goûter dans les bois. Livorno prétendait que c’était la même troupe qui fut prise par les gendarmes quelques jours après cette équipée, conduite à Massa et jetée en prison. Malheureusement on oublia de fermer la porte de la geôle, et les bandits s’échappèrent. Bisogna che campino ! dit le juge, heureux d’être délivré d’une affaire à instruire. Il faut bien que tout le monde vive ! Ce dernier trait peint les mœurs locales, le far niente officiel.

Cependant nous étions sortis des broussailles, et nous traversions