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vue. Sur quelques hauteurs apparaît une vaste ferme ; au milieu des maquis, on voit monter parfois la fumée d’une charbonnière. À côté est la cahute du travailleur qui veille à la combustion de sa meule. Tel est l’aspect général de cette partie de la Maremme toscane, et je fus frappé dès l’abord de la ressemblance de ces sites avec ceux de certains endroits de la Corse où l’on retrouve la même végétation sous un climat plus sain.

La vallée de la Cornia, dans laquelle je m’engageai, se termine à la mer par l’étang de Piombino : la rivière qui lui donne son nom arrose, en sortant des maquis, quelques plaines bien cultivées ; mais mon but n’était pas de revenir vers le littoral, et je remontai le courant jusqu’à la hauteur du point où ce petit fleuve reçoit la Milia. Je suivis la nouvelle vallée ou, pour mieux dire, le chemin de fer qui la sillonne. Ce chemin dessert une mine de charbon, celle de Monte-Bamboli, que j’allais visiter. La mi-octobre était venue, et avec elle avait recommencé l’exploitation du combustible minéral. Je ne tardai pas à voir passer les wagons de houille descendant à la mer vers Torre-Mozza, Là le charbon est embarqué sur de petits navires qui le portent à Livourne, où on l’emploie dans les fabriques, et à Civita-Vecchia, où on l’expédie à l’usine à gaz de Rome. Les caboteurs portent aussi jusqu’à Gênes et à Naples la houille de Monte-Bamboli.

Sur une grande partie de la voie le long de laquelle je cheminais, les wagons descendent par leur propre poids, et j’assistais, en me garant, à la manœuvré des conducteurs du train. Ils serraient les freins au passage des courbes ou des endroits dangereux, et lâchaient les chars à toute vitesse quand le chemin était en ligne, droite et la pente assez faible. Derrière le train, sur de vastes plateformes attelées au dernier wagon, venaient les produits de la Maremme : d’abord le charbon végétal faisant concurrence à celui des mines, puis les bois de chauffage et de charpente, les douelles pour les barriques, le tan. Un autre produit, emporté aussi par la voie ferrée, était la potasse, que l’on fabrique en grande quantité dans les maquis en lessivant la cendre des chênes dont on brûle sur place les troncs et les racines. Tout cela descendait vers la marine de Torre-Mozza, où de petits navires, ancrés à quelque distance du rivage, attendaient leur chargement. Le train marchait rapidement en raison de la pente de la voie, et sur un plateau où l’inclinaison trop faible ne pouvait plus permettre la libre descente, des chevaux attendaient les wagons.

Quand le train eut défilé, je repris ma course vers les mines, et j’entendis longtemps derrière moi le roulement des chars. Les rails semblaient servir de conducteurs au son, et le bruit métallique des essieux et des roues en fonte troublait seul la profonde solitude des