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mammifères, les deux os sont de même volume. À mesure qu’on s’élève dans la série, le tibia devient plus volumineux, mais alors le péroné s’amincit ; chez l’homme, le péroné n’est qu’une baguette qui se fracture aisément ; chez le rhinocéros, le tibia est énorme et le péroné très grêle ; dans la plupart des ruminans, celui-ci se termine en pointe et n’atteint plus le bas de la jambe. Chez le cheval, il se réduit à une espèce de poinçon de quelques centimètres de long, dans l’élan à un tubercule, et dans la girafe, le lama, le dromadaire, le bœuf, le chien et la biche, il disparaît totalement ; mais dans ces animaux le tibia est énorme et l’on reconnaît que son développement s’est fait aux dépens du péroné. Le budget de la nature est donc constant, et elle ne saurait grossir un chapitre sans en diminuer un autre, ou les réduire tous proportionnellement à leur valeur relative.

Il est temps de montrer que ces grandes lois s’appliquent également au règne végétal. Linné les avait pressenties dans sa dissertation intitulée Metamorphosis plantarum ; mais il était réservé à un poète de promulguer hardiment la loi de la métamorphose en botanique. Cet homme, ce poète, c’est Goethe. « Après Shakspeare et Spinoza, dit-il, Linné est l’homme qui a agi sur moi avec le plus de force. » Goethe avait l’habitude d’emporter la Philosophie botanique du grand naturaliste dans toutes ses promenades. Les lettres de Rousseau sur la botanique l’avaient également intéressé. Un séjour à Garlsbad, pendant lequel un jeune botaniste lui apportait chaque matin des plantes recueillies dans les montagnes environnantes, des chasses dans les grandes forêts de la Thuringe, tout contribuait à entretenir ce goût naissant pour la science des végétaux. Au printemps de 1786, lorsqu’il traversa les Alpes pour descendre en Italie, la vue de ces fleurs alpines écloses en quelques jours sur des pentes où la neige avait à peine disparu le remplit d’étonnement. le contraste devint plus frappant encore par l’aspect de la végétation méridionale qu’il admira dans tout son éclat au jardin botanique de Padoue, le plus ancien de l’Europe. L’idée de ramener tous les organes des plantes à un seul type s’empara de son esprit. Ni les distractions du voyage, ni la tragédie du Tasse qui s’élaborait dans son esprit, ni les merveilles de l’art italien, ni les souvenirs de l’antiquité, ni les plaisirs faciles de Rome, ne purent le distraire de sa préoccupation scientifique. À son arrivée en Sicile, l’identité originelle de toutes les parties végétales était une vérité démontrée pour lui. D’un petit nombre de faits il avait déduit une théorie confirmée depuis par tous les botanistes et universellement admise. Tout le monde en effet reconnaît aujourd’hui que la feuille est l’organe fondamental de la plante, les autres ne sont