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À raison de ce fait, l’amirauté a dû renoncer à appliquer aux constructeurs les pénalités qui avaient été prévues dans le marché pour le cas où l’époque de la livraison excéderait certains délais, qui ont en effet été dépassés. Personne ne paraît douter en Angleterre que dix-huit mois doivent suffire à la construction et à l’armement de la plus grande frégate cuirassée.

Enfin, pour être complet sur ce point, il faut dire encore que la Russie fait construire une frégate cuirassée en Angleterre et en construit une chez elle, que l’active et puissante compagnie française des Forges et Chantiers de la Méditerranée a déjà livré à la marine italienne deux bâtimens de ce genre construits dans ses ateliers de la Seyne, et qu’elle en fait encore un autre pour l’Espagne, qui, de son côté, a mis aussi en chantier une frégate cuirassée ; l’Autriche enfin construit dans ses arsenaux de Pola deux navires du même genre.

Pour compléter ce que nous avons à dire sur ce sujet, on trouvera peut-être qu’il conviendrait de parler du Merrimac, du Monitor et des bâtimens plus ou moins réellement cuirassés que les Américains viennent de construire, d’improviser presque. Nous ne pensons pas que cela soit nécessaire, ni même utile. Ce n’est pas que nous traitions avec dédain ce qui se fait de l’autre côté de l’Atlantique, bien au contraire. Il faudrait être insensé pour ne pas considérer avec un grand intérêt et presque comme un enseignement pour l’Europe l’immensité des ressources militaire et maritimes que les États-Unis viennent de produire tout d’un coup, avec une rapidité que très peu d’autres peuples certainement seraient capables d’égaler. Néanmoins, quelles que soient l’activité, l’industrie, la puissance dont les Américains aient fait preuve, il ne s’ensuit pas qu’en un an ils aient pu concevoir et exécuter des choses supérieures ou même équivalentes à celles qui sont en Europe le résultat des études et des travaux de plusieurs générations d’hommes spéciaux, parmi lesquels les talens n’ont jamais manqué. On le croit peut-être à Washington ou à New-York, mais ce n’est pas une raison pour que nous en soyons convaincus à notre tour. Nous comprenons l’intérêt que la rencontre du Merrimac et du Monitor, le forcement des passes du Mississipi, la destruction des navires cuirassés du sud par les canonnières en bois du commodore Ferragut, l’échec subi devant le fort Darling par les navires cuirassés du nord, ont excité dans le public ordinaire ; il n’y a pas cependant, au point de vue technique, de leçon à tirer pour nous de ces événemens, pas même des faits et gestes du Monitor, quoique le constructeur, M. Erricson, ait dit dans une lettre peu gracieuse qu’il l’avait ainsi nommé comme un avertissement à l’adresse de l’Europe. C’est quelque