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accusée aux essais dans les eaux tranquilles de la rade de Portsmouth. On lui reproche d’avoir des roulis d’une amplitude extraordinaire, et qui réduisent à bien peu de chose la hauteur de batterie qu’il avait présentée dans le bassin ; on lui reproche surtout de n’obéir que très mal à son gouvernail, et c’est pour remédier à tous ces défauts qu’il est aujourd’hui à Keyham.

Quoi qu’il en soit de ces considérations, il est certain que ces deux bâtimens, la Gloire et le Warrior, sont les deux plus formidables instrumens de guerre qui aient jamais flotté sur les océans. Doués d’une invulnérabilité relative, ils pourraient affronter avec toutes les chances de succès pour eux tout ce que les hommes ont su construire jusqu’ici de plus puissant. Leurs trente-six pièces auraient facilement raison des cent trente canons de la Bretagne ou du Marlborough. Une escadre composée de bâtimens de leur famille détruirait toutes les flottes en bois de l’Angleterre et de la France malgré la valeur et le nombre de leurs équipages, malgré la supériorité numérique des navires et des canons. Aussi les bâtimens cuirassés font-ils loi pour un certain avenir, et quelque chose qu’on leur reproche, quelques progrès nouveaux qu’on leur demande, quelques perfectionnemens que puisse recevoir encore la science de l’artillerie, c’est par le nombre des navires de ce genre qu’il faut désormais compter les ressources que possèdent non pas pour la guerre de chicane et de détail, mais pour les batailles navales, qui aujourd’hui comme toujours décideront du sort des guerres, les marines militaires des diverses puissances, comme autrefois on comptait par le nombre des vaisseaux de ligne.

C’est à ce titre que nous croyons intéressant pour le lecteur de connaître ce qui se fait en matière de navires cuirassés tant en France qu’en Angleterre :

La France possède armés, à flot ou en chantier, seize bâtimens cuirassés : la Gloire armée, la Normandie et l’Invincible, la Couronne, qui ont fait leurs essais, le Magenta, le Solferino, qui feront prochainement les leurs[1]. En chantier et commencés seulement

  1. L’Invincible et la Normandie sont des reproductions exactes de la Gloire ; cependant ces deux frégates ont donné dans leurs essais des vitesses supérieures à celle de leur aînée. On attribue ce fait aux perfectionnemens introduits dans la construction de leurs machines. Dans une traversée qu’elle a faite de Brest à Cherbourg, la Normandie a donné plusieurs lochs supérieurs à quatorze nœuds. Le Magenta et le Solferino devraient être qualifiés de vaisseaux plutôt que de frégates, car ils ont deux batteries couvertes portant une artillerie de cinquante canons. Ils sont complètement cuirassés à la flottaison et par le travers du faux pont, mais au-dessus de la flottaison avant et arrière ils ne le sont pas. Toutes leurs pièces cependant sont à l’abri. — La Couronne est sensiblement du même type que la Gloire, mais sa membrure et son doublage sont en fer, comme ceux du Warrior. Il y a trop peu de temps qu’elle navigue pour que nous puissions savoir si cette différence en aura produit une dans les résultats.