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Est-ce un bien grand triomphe, un résultat bien heureux que de parfaire des vases hauts de cinq pieds, des coupes larges d’un mètre, à l’aide de moyens que réprouvent la bonne foi et surtout les principes fondamentaux de la céramique ? Pense-t-on imposer au vulgaire par cette grandeur factice, et lui faire croire que la manufacture impériale de Sèvres fait maintenant d’aussi grands vases que ceux des manufactures impériales de Chine on du Japon ? Mais on oublie que le vulgaire est parfois curieux, et lorsqu’il découvre, au lieu d’une pièce solide dont le seul mérite est la dimension, une armature en fer reliant sournoisement le pied, le col, les anses et les deux parties du ventre, dont les joints sont assez mal dissimulés par des bandes dorées, son admiration fait place à la moquerie, et il s’explique aisément le manque de proportion et d’unité entre ces membres fabriqués et peints séparément.

À Sèvres, on ne s’est pas contenté de faire de la céramique, on a voulu aussi fabriquer des bronzes pour orner les vases et les coupes, C’est aux acheteurs qu’il faut laisser ce soin. Lorsqu’un vase est d’un beau galbe et d’une belle couleur, il n’a pas besoin de dorures qui le fassent valoir ; au contraire, lorsqu’une monture n’est pas composée avec un goût parfait, c’est assez pour détruire la meilleure forme. C’est justement ce qui est arrivé. Jamais nous n’avons vu plus de lourdeur et de mauvais goût que dans les bronzes de Sèvres exposés en 1855. Une monture en bronze ou en bois doit pour ainsi dire ne pas être adhérente : c’est un socle pour élever et poser le vase, c’est une légère couronne pour en garantir l’embouchure ; mais si vous l’enveloppez de bras tordus, de guirlandes épaisses, si vous ajoutez un socle évasé et tourmenté qui continue le pied et le déforme vous perdez la ligne et vous interrompez le galbe qui en fait tout le charme. Les montures Chinoises sont encore des modèles à suivre. La forme en est toujours calculée pour ne déranger en rien les lignes du vase. Qu’elles soient en bronze, en bois ou même en pierre de lare, elles affectent généralement ce genre d’entrelacs à jour qui unit la solidité à la légèreté.

On ne comprend pas comment une manufacture vouée entièrement à l’art peut adopter ces fantaisies commerciales que les tapissiers et les bronziers exécutent sans réflexion et comme en se jouant du public. Des artistes plus graves doivent chercher d’autres sources d’inspiration, et, au lieu de subir le goût du commerce, le conduire et le dominer. Autrefois ces vases de porcelaine précieuse, ces coupes en cristal, en verre de Venise, en onyx, en lapis ou en améthyste, étaient ornés par des artistes orfèvres avec un goût, non pas toujours irréprochable, mais réfléchi et souvent parfait. L’ouvrier qui exécutait ces ornemens était à la fois un dessinateur, un graveur et un sculpteur, d’où résultait ce caractère d’unité qui