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belle forme ni une couleur bien agréable. Pour s’en convaincre, il suffit de parcourir les salles du Louvre et de feuilleter l’ouvrage de M. Lenormant où sont représentés les vases les plus célèbres[1]. Les figures qui les décorent rappellent souvent les types égyptiens ou assyriens, et sont en général d’un caractère détestable, plus comique que sérieux. Le beau y est excessivement rare. Les ornemens, arabesques de feuilles ou de fleurs, sont aussi grossiers de composition que d’exécution. Ils accusent plus que de la maladresse. Au point de vue céramique, ces tableaux n’ont aucune importance. En effet, c’étaient alors comme maintenant de simples poncifs qui se reproduisaient mécaniquement ; c’était un décalque, exactement comme ces lithographies des Moissonneurs ou de la Smala, qu’on imprime aujourd’hui sur des vases et des pendules en porcelaine. Sur quelques vases grecs, vous trouvez le nom d’un artiste connu ; mais le nom de M. Ingres ou celui de M. Delacroix pourra se retrouver de même sur les produits de Sèvres et de Montereau, produits dont le seul mérite sera d’avoir servi de cadre à la copie plus ou moins heureuse d’un tableau célèbre. Les Grecs étaient des commerçans d’art, des trafiquans de toute chose. Ils envoyaient de ville en ville et de contrée en contrée des copistes qui, à l’aide de calques, représentaient sur les murs des habitations, sur les vases et les meubles, les compositions connues. Cette corporation de copistes, appelés ectypes, exista de même à Rome. Pompéi fut décoré par eux. Ils tiraient volontiers cent exemplaires d’une même statue et d’un même tableau.

Il faut avoir peu étudié les vases grecs pour ne pas reconnaître dans le plus grand nombre l’inhabileté de manœuvre. Au reste, le mérite céramique d’un vase ne réside pas dans la pureté des dessins qui le décorent ; c’est la forme, la taille, la proportion, la beauté de la pâte et de la couleur, l’ensemble enfin, qui marquent et décident la valeur au point de vue de l’art. À quelques pas de distance, les vases gréco-étrusques ne produisent aucun effet. Les dessins ne se voient pas, l’aspect en est triste, ennuyeux, monotone. En outre cette forme inquiète l’œil par le manque d’aplomb ; le pied est trop étroit pour le rebondissement du ventre le col trop court et les anses mal adaptées nuisent à l’élégance d’un ensemble déjà lourd et incommode. L’absence complète de couleur suffit d’ailleurs à prouver leur infériorité.

En Chine, en Perse, au Japon, il est vrai, on se préoccupe fort peu de ces compositions savantes où les sculpteurs grecs ont excellé et semblent avoir dit, comme le Créateur aux flots de la mer : « Tu n’iras pas plus loin » mais on oublie sans cesse qu’un vase n’est

  1. Élite des Monumens céramographiques, par MM. Ch. Lenormant et de Witte.