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ces cafetières, ces plats et ces tass de Bagdad, de Delhi, de Lahore ou de Samarcande, ces faïences merveilleuses, peintes ou sculptées à jour, provenant des fabriques d’Ispahan, de Tebriz, de Brousse ou de Nicée, enfin les inépuisables poteries de la Chine, la plus habile de toutes les nations à manier la forme, à disposer avec une variété sans pareille les ornemens et les accessoires ; que l’examen se poursuive sur tout ce que les della Robbia, les Benvenuto, les Palissy et tant d’autres ont arrangé ou créé d’après ces modèles, alors on pourra en extraire ce que Pythagore tira de ses voyages en Égypte, en Chaldée et en Phénicie, l’analogie, c’est-à-dire la clé des proportions harmoniques pour l’architecture et la sculpture comme pour la céramique, la peinture et la musique.

Les potiers de Sèvres sont beaucoup trop occupés de l’idée d’inventer une forme nouvelle. Une pareille découverte se voit rarement, elle est d’ordinaire le résultat d’une civilisation entièrement neuve, et ce serait aujourd’hui un véritable phénomène. Ce n’est que dans les sociétés primitives, où l’instinct existe dans sa plénitude et sa pureté, que les formes typiques ont pu se formuler ; elles sont le résultat d’un sentiment inné, se combinant avec le sentiment de l’usage, de la convenance, de l’application particulière. C’est l’enfantement créé par une comparaison incessante des harmonies de construction que Dieu nous montre dans la nature entière, et principalement dans la forme humaine. Dans un vase, le corps, les bras, le col, la tête souvent, et jusqu’au pied, tout cet ensemble n’est-il pas, si l’on peut s’exprimer ainsi, comme un reflet cadencé du corps humain ?

Il est donc plus difficile peut-être de créer un beau vase qu’une belle statue, car la statue n’est qu’une copie exacte, bien qu’idéalisée, de l’homme, tandis que le vase est la reproduction d’une harmonie intérieure, c’est-à-dire la plus haute expression de la poésie de la forme. Nous ne demandons point par conséquent aux manufactures de faire du neuf ; bien au contraire, nous voudrions réfréner ce désir, qui ne peut produire que du bizarre et de l’incohérent. Ce que nous leur demandons, c’est de comprendre assez bien les six ou huit formes primitives pour les exécuter dans des proportions différentes, de façon à en modifier les accessoires sans altérer le texte, le sens, le galbe ; c’est de s’attacher aux formes eurhythmiques, aux rapports proportionnels entre le corps, les anses, le col et le pied, de consulter sans cesse la tradition et de mettre toute leur intelligence à varier avec goût les détails et la couleur ; c’est enfin de respecter surtout les lois de statique et de contenance. Il ne suffit pas d’admirer et de dire : « Ce sont les formes antiques qui nous inspirent et que nous copions ; » il faut avant tout comprendre pourquoi