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qui font passer la science avant l’art, et oublient devant l’intérêt historique les lois de la forme et du décor. Ces opinions si diverses sur la supériorité des Chinois en céramique méritent donc d’être discutées, en raison de l’influence qu’elles peuvent avoir sur le goût public, et particulièrement sur nos manufactures.

Les Persans de leur côté n’ont jamais renoncé à l’emploi des grands moyens décoratifs. Par tradition sans doute, puisque les palais de Ninive nous montrent déjà les parois de leurs salles d’été revêtues de tableaux historiques peints sous émail, et remplaçant les tentures d’hiver en étoffes de soie ou en tapisserie de laine et d’or, les Persans ont appliqué tout spécialement et appliquent encore avec une remarquable intelligence la faïence et l’émail à l’architecture. Cette peinture éblouissante et inaltérable a été poussée chez eux au degré suprême de la perfection, et bien plus largement qu’en Chine, où elle n’a jamais pris ces grandes proportions décoratives. Lorsque l’on a vu les belles mosquées de l’Iran et celles de l’Asie-Mineure, on peut apprécier la science profonde, le sentiment exquis de la couleur et de l’ornementation qui distinguent les Persans. Pour eux, sans la couleur, pas d’architecture digne de ce nom. À cette époque du moyen âge oriental, l’art faisait des progrès réels. La mosaïque byzantine, si longue à travailler, en ce que, pour imiter une peinture, il faut employer de très petits morceaux, parut un procédé incomplet, et tout en conservant les marbres et les pierres fines pour daller les pavés et enrichir les voûtes, on préféra de larges surfaces peintes, puis émaillées, c’est-à-dire recouvertes d’une glaçure de verre. On rendait ainsi la décoration d’un édifice, et surtout des parties extérieures exposées aux intempéries du ciel, plus solide et d’une application plus large, plus simple, plus harmonieuse. Cette mosaïque opaque et à grandes surfaces, au lieu de laisser pénétrer la lumière et de l’absorber comme les petits cubes de verre de la mosaïque byzantine, la réfléchit comme une glace, et produit ainsi, sur l’extérieur d’un mur ou d’un dôme par exemple, un effet bien plus éclatant. La mosquée de Tébriz en Perse, qui malheureusement tombe en ruine, est un des beaux échantillons de ce luxe décoratif et de cette habileté à vaincre les plus grandes difficultés de la peinture sous émail. Il y a là des frises et des cordons de légendes dont les lettres, blanches sur fond d’azur, ont parfois un mètre de haut. Ces lettres étaient taillées au diamant sur des plaques de faïence blanche, et incrustées ensuite dans le fond d’émail bleu, entaillé de même pour les recevoir. C’est, en un mot, une mosaïque de faïence. On se sert, pour faciliter cette opération, d’une terre fine, poreuse, cuite seulement jusqu’à demi-vitrification, et qui se tranche au couteau, comme du mastic, dès que