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est libre. Qui paiera l’impôt ? Sur quoi l’impôt sera-t-il établi ? Et voilà le principe de l’égalité des charges qui se montre accompagné de la nécessité de remanier le système tributaire. Le droit de posséder des serfs était par le fait le privilège constitutif de la noblesse ; ce privilège n’existe plus, et voilà le principe de l’égalité civile. Vous voulez réformer les finances, mais tout de suite vous arrivez à la nécessité d’une garantie, de la publicité, d’un contrôlé qui ne peut être efficace que s’il est exercé par un pouvoir autre que le pouvoir administratif, et vous touchez au principe même de l’état. Il y a quelque temps, lorsqu’on voulut réformer les banques pour les fondre dans Une banque unique, tous les systèmes furent agités dans un conseil ; on proposa de faire de la banque nouvelle une institution indépendante de l’état. — C’est changer le principe du gouvernement, — répondit quelqu’un, et c’était en effet changer le principe du gouvernement. La révolution était dans une simple question de banque. Il en est de même de la constitution de l’armée, de la réorganisation de la justice. Ce n’est pas tout : vous admettez un certain libéralisme intérieur ; mais aussitôt apparaît à l’horizon la Pologne frémissante : la compression en Russie est la triste rançon de la Pologne vaincue et jamais domptée, ou la justice faite à la Pologne est la condition première du libéralisme dans l’empire. C’est ainsi que tout se tient, qu’aucune réforme sérieuse ne peut rester isolée ou partielle, que la politique extérieure elle-même est solidaire de la politique intérieure, et cet ensemble, c’est la révolution latente de la Russie. Or, en présence de cette situation où s’agite la question de la réorganisation d’un grand empire, quelle est la vraie et décisive politique ? Quels sont les systèmes qui se dégagent de cet ensemble de choses ?

Il y a deux politiques, si je ne me trompe. L’une est le système dont le grand-duc Constantin est l’inspirateur et que soutiennent ses amis. Ce sont des esprits éclairés, intelligens, qui sentent le mal et qui cherchent le remède. Ce remède, c’est de tout réformer, mais d’en haut, selon leur langage, par l’initiative du gouvernement, par l’action incessante d’une administration juste et vigilante, et en maintenant l’autocratie. À leurs yeux, l’autocratie est la condition première de l’existence de l’empire avec son étendue, avec la multitude de races qui le peuplent, et bien mieux c’est la condition la plus efficace de toute réforme au milieu des résistances intéressées et aveugles qui s’obstinent. Théoriquement, il se peut bien en effet que quelques années d’un absolutisme éclairé, vigilant, réformateur ; fussent une trêve utile, une transition favorable. et dans tous les cas ce serait assurément un progrès réel ; dans la pratique, il n’y a qu’un malheur, c’est l’incompatibilité entre le régime