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M. Pavlof à échanger son séjour de Vetlouga pour celui de Novgorod, en lui confiant même une mission ; mais l’affaire ne s’est pas arrêtée là : les autres professeurs ont suspendu leurs cours pour n’être point exposés à l’aventure de M. Pavlof. Un seul, jusque-là très populaire, M. Kostomarof, a voulu continuer. Il a essayé de continuer en effet ; seulement, à sa première leçon, il a été accueilli par les étudians et le public tout entier par un effroyable orage de sifflets. M. Kostomarof a été réduit à donner sa démission, et la police, en désespoir de cause, s’est adressée à l’empereur pour obtenir la complète suspension de tous les cours publics, autorisés peu auparavant. La position ministérielle de M. Golovnine ne s’en trouve pas plus assurée ; c’est sur lui, sur sa tolérance que la camarilla rejette la responsabilité de ces désordres d’université. Ce qu’il y a d’étrangement significatif dans cette agitation qui s’alimente de tout, c’est qu’elle fermente et s’accroît au foyer même du tsarisme. Les autres provinces ne sont que mécontentes ; l’esprit d’opposition prend une vivacité extraordinaire à Pétersbourg. Il y a moins de deux mois, la veille de Pâques, à minuit, on répandait une proclamation aux officiers de l’armée pour les engager à la sédition. Cette proclamation émut la ville et la cour, et c’est là la première cause de ces arrestations mystérieuses dans l’armée, dont le bruit n’est arrivé qu’affaibli en Europe. Voilà comment se déroule, se complique et grandit cette situation où tout flotte confusément !

Tout est confus sans doute dans les faits et dans les idées en Russie, et pourtant à travers ces incidens, ces contradictions, ces anomalies, ces chocs d’influences, il se révèle je ne sais quelle intime et profonde unité ; il y a je ne sais quoi qui marche, qui suit une obscure et invincible logique. Sans doute encore, la société russe a beaucoup de ces mirages, de ces phénomènes aériens dont parle M. Katkof dans ce fragment que je citais ; sans avoir une vie politique selon le mot de cet éminent écrivain, elle a tous les partis possibles, conservateurs, libéraux modérés, constitutionnels, radicaux, socialistes, tous s’agitant un peu dans les airs, créant à la surface une certaine atmosphère factice. En réalité, le vrai et sérieux caractère du mouvement qui s’accomplit n’est point dans ce tourbillonnement extérieur qui peut passer comme une nuée d’orage, il est dans les choses elles-mêmes, dans cette force secrète qui fait que tout se lie, tout s’enchaîne, qu’une réforme appelle l’autre, qu’un problème conduit à un autre problème, et que tout s’ébranle à la fois. Vous proclamez l’abolition du servage, l’avènement de vingt-cinq millions d’hommes à la liberté personnelle, à la propriété ; mais aussitôt surgissent une multitude de questions. Jusque-là les seigneurs payaient l’impôt par tête de serf ; aujourd’hui le serf