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payer l’impôt ; mais c’est un privilège si peu juste, je dirai même si déshonorant, que nous ferons bien de l’abdiquer le plus tôt possible. »

L’assemblée de Tver discutait pendant trois séances, disais-je. Dans la première, elle déclarait presque à l’unanimité que les règlement officiels sur l’émancipation des serfs étaient impraticables, et devaient être modifiés, qu’il fallait rendre les paysans immédiatement propriétaires au moyen du rachat, avec le concours du gouvernement ; dans la seconde, elle déclarait que la noblesse renonçait à ses privilèges, qu’elle voulait se confondre avec le peuple et payer tous les impôts comme lui ; dans la troisième séance enfin, elle proclamait la nécessité de convoquer une assemblée nationale, composée des représentans de toutes les classes. « Pour réaliser les réformes exigées par la force pressante des choses, dit l’assemblée de Tver dans un mémoire qui commente son adresse, il faut abandonner la voie des mesures gouvernementales. Quelque bonnes que soient les dispositions du gouvernement, la noblesse est convaincue qu’il est incapable de les mener à bonne fin. Les institutions libres qui doivent être le résultat de ces réformes ne sauraient avoir d’autre source que le peuple, sans quoi elles resteraient une lettre morte et ne feraient qu’empirer la situation. Par conséquent la noblesse, tout en suppliant le gouvernement d’entreprendre les réformes nécessaires, se déclare à elle seule incompétente pour résoudre dès questions d’une si haute importance, et se borne à désigner l’unique voie de salut pour le gouvernement comme pour la société entière. Cette voie, c’est la convocation d’une assemblée nationale, composée des députés du peuple, sans distinction de classes ni d’états. » Cent douze signatures appuyaient cette manifestation, qui dépassait un peu, il faut le dire, le questionnaire du gouvernement.

Ce n’est pas tout : jusque-là, ce n’est qu’un vote, un vœu théoriquement exprimé ; ici commencé presque l’action. Treize juges de paix ou médiateurs, fonctionnaires nouveaux nommés depuis l’émancipation pour servir d’arbitres entre les propriétaires et les paysans dans la négociation des contrats de rachat, signaient une sorte de manifeste où ils disaient : « L’assemblée de la noblesse de Tver ayant déclaré le règlement du gouvernement inapplicable, nous, les médiateurs, nous ne nous guiderons pas d’après ce règlement, mais nous suivrons les convictions exprimées par l’assemblée, qui sont aussi les nôtres. » Les signataires étaient MM. Glazenapp, Kharlamof, Poltoratski, Lazaref, Likhatchef, Nevedomski, Kondriavtsef, Chirobokof, Balkachine et Bakounine. Les médiateurs du reste profitaient de leurs tournées pour lire l’adresse de l’assemblée aux paysans, afin de leur montrer que ce n’était pas la noblesse qui était contraire à