les deux capitales offraient le spectacle le plus animé. On pouvait presque se croire en pleine agitation parlementaire. Les salles des séances, toujours à peu près vides jusque-là, étaient cette fois encombrées d’une foule qui suivait les discussions avec un intérêt passionné. Les dames elles-mêmes, les dames surtout, remplissaient les tribunes. En un mot, c’était comme un éveil de la vie politique.
Même spectacle à Toula, à Smolensk, si ce n’est que l’adresse de Toula équivaut à la demande formelle d’une constitution ; mais c’est à Tver peut-être que cette agitation politique a pris le caractère le plus vif, et que se sont passées les scènes les plus graves. Depuis quelques années déjà, la noblesse de Tver est à la tête du mouvement libéral de la Russie. C’est d’elle qu’est venue l’impulsion, et on s’est accoutumé à la considérer comme un guide. Elle a pour maréchal un homme d’énergie et d’intelligence, M. Umkovski, qui a été déjà exilé, mais qui a été rappelé par l’empereur. Convoquée en assemblée extraordinaire comme celle des autres gouvernemens, la noblesse de Tver devait dépasser tout ce qui se faisait ailleurs par sa hardiesse et par la couleur tranchée de son libéralisme. Aussi son adresse est-elle plus nette et va-t-elle plus loin que celles de toutes les autres assemblées. Cette adresse était discutée pendant trois séances, et rien ne peint mieux les débats comme aussi le mouvement actuel des idées de la noblesse libérale de la Russie que ces paroles hardies prononcées par un des membres de la réunion : « On a toujours beaucoup vanté les privilèges de la noblesse, disait-il ; pour ce qui est de moi, me voilà arrivé à l’âge de soixante ans passés, et je n’ai su ni les apprécier, ni même les constater. On m’a dit qu’un des privilèges de la noblesse consistait à servir l’état ou à ne le pas servir, selon sa volonté. Or j’ai deux fils : l’un d’eux a demandé à entrer au service, on le lui a refusé ; l’autre a demandé à quitter le service, on le lui a refusé aussi. On m’a dit encore qu’un des privilèges de la noblesse consistait à être à l’abri des punitions corporelles ; mais nous voyons chaque jour que pour un simple délit, sans parler de crimes, le gouvernement condamne un noble à être fait soldat, et le lendemain, si ce noble manque à la discipline, on le crible de coups de bâton, quelquefois même on le condamne à la peine du défilé. Je ne parle pas de la police secrète, qui peut saisir chacun selon son bon plaisir et le punir d’autant de coups de verges qu’il lui plaît….. On m’a parlé du privilège qu’aurait tout noble de ne pouvoir être puni et exilé sans jugement ; mais, sans aller plus loin, nous n’avons qu’à citer notre honorable maréchal, M. Umkovski, qui, deux fois remercié par sa majesté l’empereur, a été tout à coup cependant saisi et envoyé en exil à Vtatka sans aucune espèce ni simulacre de jugement. Reste le privilège de ne pas