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dinaire des relations. Il y avait sous ses moindres paroles une vie expansive et généreuse qui se communiquait à tous ceux avec lesquels il était en contact. Laërte, dans ce coin de l’Afrique, avait retrouvé des joies oubliées qui le ramenaient aux jours les plus lointains de son enfance. En quittant ce logis hospitalier où venait de circuler pour lui la douce chaleur du foyer domestique, il se sentait dans des dispositions devenues depuis plusieurs années presque étrangères à sa nature. Les tristesses dont il savourait le charme funeste semblaient s’effacer de sa vie, et son cœur apaisé se remplissait, vis-à-vis du destin, d’une honnête confiance.

Les premiers temps de son séjour à Blidah se ressentirent de cette heureuse situation morale. La maison même qu’il occupait exerçait une influence salutaire sur son esprit. Nombre de musulmans avaient disparu après notre conquête, abandonnant des demeures qui étaient les seules où les Européens pussent s’établir, car Blidah n’avait encore eu à cette époque rien à démêler avec notre civilisation. Les constructions banales qui s’y élèvent aujourd’hui étaient dans la nuit de l’avenir, et l’on n’y voyait que ses maisons aux murailles sans fenêtres, blanches et discrètes comme la fleur des orangers leurs voisins. C’était dans un de ces gîtes situé à l’extrémité de la ville que Laërte s’était installé. Il passait ses matinées et quelquefois ses soirées dans une cour carrée sur laquelle donnaient toutes les ouvertures du logis. Cette cour, malgré sa forme claustrale, était bien loin d’être empreinte d’une mélancolie monastique. Les pilastres et les murs des galeries qui l’entouraient avaient cette lumineuse existence qu’un grand maître de la peinture moderne a surprise et rendue dans les murailles de l’Orient. Ils étaient parlans, et ils parlaient le langage du soleil. Un ciel d’un bleu inaltérable transformait cette cour en une sorte de salon magique, car le pan d’azur toujours éclatant et uni que montrait ce ciel semblait une tenture empruntée à quelque merveilleuse étoffe. Un bassin circulaire, creusé entre des dalles de marbre, renfermait ce trésor des pays brûlans, une eau qui devait à des puissances inconnues sa limpidité et sa fraîcheur. Un jet de cette eau attrayante s’élevait au milieu de ce bassin, brillant et ténu comme l’aigrette qui tremble au front des sultanes. Laërte appelait ce séjour son Alhambra. Il faisait placer entre deux arcades un coussin de soie sur lequel il s’asseyait à la manière orientale; il croyait par instans avoir surpris ce grand secret de calme souriant où la philosophie païenne plaçait le bonheur, quand il se mettait à fumer dans cette situation une longue pipe que lui allumait le curé Mérino.

Je dois dire tout de suite quel personnage désignait ce surnom. Le curé Mérino était l’ordonnance de Laërte, c’est-à-dire le soldat attaché à son service particulier. On sait quelle incroyable variété de