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emprunt négocié en Europe. Je ne veux pas dire pourtant que ce ne soit absolument qu’un mot. En réalité, le règne actuel, pressé par une nécessité impérieuse, a senti au moins le besoin de l’ordre, et depuis quelques années, depuis 1859 surtout, il est à l’œuvre avec sa bonne volonté flottante, intermittente, tantôt s’inspirant d’un sentiment assez juste de la situation impossible qu’il a reçue, tantôt retombant sous le poids de difficultés partiellement abordées et incomplètement résolues. Quelles sont donc les réformes accomplies jusqu’ici ? Une des premières pensées du gouvernement russe a été de modifier le système de crédit intérieur, cette étrange organisation des banques, qui ressemblait à une pompe aspirant la richesse publique pour l’immobiliser. Il a fait ce qu’il a pu pour éloigner les dépôts par des réductions d’intérêt, pour se soustraire au danger de demandes subites de restitutions, et d’un autre côté il a supprimé les prêts à longues échéances aux propriétaires. Il a enfin liquidé comme il a pu cette situation, il l’a simplifiée en transformant les banques multiples qui existaient en une seule banque de l’état. Malheureusement, comme il arrive toujours dans des crises aussi vastes, aussi profondes que celle où est la Russie, cette mesure, coïncidant avec l’émancipation des paysans, créait une autre complication : elle faisait disparaître le seul crédit foncier qui existât jusque-là, au moment où la propriété en aurait eu le plus pressant besoin, et aurait pu en faire l’usage le plus utile. Elle soulevait une autre question, celle de l’organisation du crédit foncier privé, qui est encore à résoudre, et qui se heurte aujourd’hui contre toutes les difficultés en présence d’une incertitude universelle. L’emprunt récemment contracté en Europe avec un succès qui est un encouragement, un appel à un sérieux esprit de réforme, cet emprunt procède d’une autre idée : il a pour objet d’atténuer les troubles de circulation monétaire développés par les émissions gigantesques de papier-monnaie, en rétablissant le paiement en espèces ; mais ici tout tient évidemment à ce qui sera fait, à l’emploi réel de l’emprunt ; en d’autres termes, tout dépend de la politique qui prévaudra à Pétersbourg. L’emprunt peut être un élément puissant de régularisation, un moyen d’aider à de plus vastes mesures, comme aussi il peut n’être qu’un expédient assurant des ressources pour quelque temps, comblant des déficit.

Un des actes du caractère le plus sérieux jusqu’ici, au moins comme symptôme, est la publicité donnée au budget. Le gouvernement russe, il est vrai, a été un peu contraint dans sa bonne volonté. M. Hertzen avait publié à Londres, dans le Kolokol, les budgets de 1859 et de 1860, et il était infiniment vraisemblable qu’il pourrait, par les mêmes moyens, divulguer celui de 1862. Alors le gouvernement a fait spontanément ce qu’on aurait fait peut-être sans lui et