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lui-même partisan de la réforme. Ce comité a pris l’avis de toutes les administrations. Le ministère de la marine, dont le grand-duc Constantin est le chef comme grand-amiral, a répondu dans le sens le plus favorable. Le ministre de la guerre, qui était encore à cette époque le général Souchozannett, se montrait au contraire fort opposé à la réforme. Il eût peut-être sacrifié une partie dû système, le knout et cette terrible peine qui s’appelle le défilé ; seulement il réclamait pour les colonels la liberté illimitée des verges. Depuis l’avènement du général Milutine au ministère de la guerre, les dispositions sont devenues plus favorables, il est vrai ; le châtiment corporel a pourtant encore de puissans soutiens. Il n’y a pas bien longtemps, un des ministres, le général Annenkof, exprimait cette opinion que, « par le temps qui court, quand des proclamations incendiaires se répandent dans les provinces, quand une partie de l’empire est en état de siège, l’abolition de ces peines équivaudrait à un encouragement à la révolte, et ne serait qu’un concours prêté par le gouvernement lui-même aux révolutionnaires. »

Ce qu’il y a de plus curieux et de plus imprévu, c’est que le knout a trouvé un défenseur dans le métropolitain de Moscou, Philarète, que l’empereur a l’habitude de consulter en tout, et qui l’an dernier bénissait le choix de l’amiral Poutiatine pour le ministère de l’instruction publique. Le métropolitain Philarète a répondu par une homélie pleine d’onction et de citations bibliques, en montrant que la religion n’a rien à faire en pareille question, que l’état est seul juge des moyens de répression qui lui sont nécessaires. Le métropolitain Philarète, au reste, ne voit rien d’avilissant pour des êtres créés à l’image de Dieu dans l’usage du bâton, et il s’élève aux considérations les plus merveilleuses pour démontrer que c’est le crime qui avilit, non la verge ou la marque, que l’humiliation et la souffrance sont au surplus des moyens de purification chrétienne. « Il a été remarqué, dit-il, par ceux qui ont l’occasion de manœuvrer la conscience des coupables, qu’ordinairement après avoir subi une punition avilissante ces coupables sentent un soulagement intérieur, et cette satisfaction de la justice les affermit dans l’espoir du pardon du ciel. Autrefois, lorsque les punitions corporelles étaient très sévères, ceux qui visitaient la Sibérie rencontraient avec effroi des gens marqués sur le front et privés de narines ; mais les habitans du pays leur assuraient que c’étaient des gens honnêtes, dignes d’une pleine confiance : preuve que le châtiment corporel ne les empêchait pas de s’élever de l’abîme du crime à l’honnêteté… Certaines personnes seraient d’avis d’abolir ces peines, et de les remplacer par la prison. Il faudrait pour cela construire et entretenir presque une ville-prison pour ainsi dire, il faudrait dépenser des sommes énormes ; où les prendre ? Dans les revenus de