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de la justice, pour l’abolition des peines corporelles, pour toutes-les réformes possibles. Entre ces comités, composés d’habitude de fonctionnaires de la bureaucratie, c’est-à-dire voyant tout au point de vue administratif, étrangers à la vie réelle et pratique du pays, il n’y a aucun rapport, aucun lien, aucune combinaison d’études et d’action. Chacun fonctionne à part, entouré d’un profond mystère, sans se préoccuper de ce que font les autres, et ne songeant qu’à dérouler une enquête dont les résultats, — quand il y a des résultats, — sont souvent plus ; ingénieusement exposés que décisifs. De là ce je ne sais quoi d’artificiel, de décousu et en définitive d’inefficace dans ce travail poursuivi sans direction précise au milieu d’une société où tous les intérêts sont ébranlés, où le malaise ne fait que s’accroître, et où le sentiment le plus vivace, le plus déterminé, est peut-être la haine du gouvernement de trente ans, comme on appelle le règne de l’empereur Nicolas. Prenons, si l’on veut, quelques-unes de ces réformes dans leur rapport avec la situation actuelle de la Russie.

Il y en a de toute sorte, je l’ai dit, et dans un pays où le libéralisme est devenu un mot d’ordre, l’abolition des peines corporelles est assurément une des premières réformes qui se présentent, ne fût-ce que pour faire cesser cette anomalie étrange d’une société au sommet de laquelle s’agitent les spéculations politiques les plus avancées, et qui à sa base a le knout et le plète. Le grand-duc Constantin et le tsarévitch lui-même ont pris cette œuvre sous leur protection. Il y a plus d’un an déjà, un des aides-de-camp du grand-duc frère de l’empereur, le prince Orlof, esprit éclairé et qui tient évidemment à effacer le sombre renom de son père, le prince Orlof, étant à Bruxelles, où il avait été envoyé, adressait à Pétersbourg un mémoire où il proposait la suppression absolue du châtiment corporel dans l’ordre civil comme dans l’ordre militaire. Je voudrais pouvoir citer ce mémoire, qui s’inspire non-seulement d’un sentiment chrétien et humain, mais encore d’une prévoyante pensée politique, qui représente l’abolition du knout et des verges comme une conséquence de l’émancipation des paysans, comme une nécessité du temps, comme l’acte le plus propre à relever les classes rurales des habitudes d’hypocrisie et de mensonge entretenues par la crainte perpétuelle du fouet. « Pour la société russe, écrivait le prince Orlof, la tolérance de ce genre de punition est non-seulement un mal, mais encore un danger. La lumière a pénétré dans toutes les classes de la nation plus profondément qu’on ne le suppose, et nous ne sommes pas éloignés du temps où toute punition corporelle provoquera la résistance ou le suicide : extrémité terrible, mais inévitable ! » La conclusion était l’abolition complète de la peine. Un comité spécial fut nommé ; il était présidé par M. de Korf, qui est