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russe un perpétuel mirage, comment tout semble s’essayer, sans que rien soit mené à bout, — et je touche ici à un des côtés les plus curieux et les plus saillans, à ce qui est véritablement l’essence de la situation de la Russie.

C’est la confusion des apparences et de la réalité, ou plutôt c’est le contraste de la réalité et d’une certaine apparence, de ce qu’on dit et de ce qu’on fait. C’est ce phénomène que décrivait récemment un des plus éminens publicistes russes, M. Katkof, et qui fait que la vie d’un pays peut extérieurement ressembler à une fantasmagorie ayant sans doute ses causes, ses raisons d’être, mais ne correspondant nullement à un état vrai des choses, a « Nous avons des partis politiques de toutes les nuances, écrivait M. Katkof, nous n’avons rien qui ressemble à une vie politique ; nous avons beaucoup de mots et point les choses que ces mots représentent… » Rien n’est plus ordinaire aujourd’hui en Russie que de parler de libéralisme. C’est le mot d’ordre presque universel, c’est la mode du règne d’Alexandre II. Tout le monde est libéral ou se dit libéral, même le nouveau chef de la police secrète, le général Potapof. Le gouvernement du tsar est infiniment préoccupé de garder aux yeux de l’Europe ce vernis de libéralisme qu’il s’est donné par quelques actes du commencement du règne. Périodiquement il parle des réformes qu’il fait ou qu’il va faire ; il en parle surtout dans les momens difficiles, ou à l’approche de quelque anniversaire mémorable, ou quand il a un emprunt à négocier, comme on l’a vu récemment. On a même imagine un moyen ingénieux d’entretenir ce bon renom libéral : on a créé à Pétersbourg, au ministère de l’intérieur, un service correspondant avec les agences télégraphiques européennes pour prévenir et gagner par des sommaires flatteurs l’opinion de l’Occident. Cette tactique a réussi plus d’une fois, au moins pour quelques jours. En quoi consistent cependant ces réformes, qui jouent un rôle si invariable et si obstiné dans la politique russe ? Que sont-elles en elles-mêmes ? Destinées quelquefois à rester indéfiniment des promesses, assez souvent tardives ou impraticables, quand elles ont un commencement d’exécution, elles se ressentent évidemment de ces conditions organiques du pouvoir que je dépeignais, d’un ordre de choses où les mots ne disent pas toujours ce qu’ils semblent dire, d’un mode de procéder mieux fait pour amasser les incertitudes et créer une illusion d’activité que pour conduire à des résultats sérieux et précis. dès qu’une question s’élève, le gouvernement nomme un comité. La Russie en est venue, depuis quelques années, à avoir un nombre infini de ces comités ; elle ne connaît pas même l’existence de tous ceux qu’elle possède. Il y en a pour la réforme des lois militaires, pour la révision du système d’impôts, pour la réorganisation des banques, pour l’amélioration