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influence sur l’ensemble de la politique, sur les grandes questions qui s’agitent, et tandis qu’une certaine pensée de progrès intelligent prévaut aux ministères de l’instruction publique, de la marine et de la guerre, le vieux système d’absolutisme et d’arbitraire administratif règne et prospère aux ministères de la justice et de l’intérieur. La puissance occulte de la troisième section de la chancellerie impériale s’exerce dans sa plénitude, et les actes contradictoires se succèdent.

M. Golovnine arrive, il y a six mois, au pouvoir avec une mission de paix, d’adoucissement et de réparation. Ses premiers actes en effet n’ont qu’un but, calmer les irritations, effacer les traces d’un grand désordre, préparer une organisation plus libérale des universités, et au même instant la police ne poursuit pas moins son œuvre contre les étudians, auxquels la chute de l’amiral Poutiatine vient en définitive de donner raison. Les uns sont envoyés à Viatka, à Perm, en Sibérie, comme de vrais criminels ; les autres sont impitoyablement chassés de Pétersbourg et privés de la faculté de se faire admettre dans d’autres universités. Il y a mieux, une circulaire secrète, — pas si secrète pourtant qu’elle n’ait été, selon la coutume, connue de M. Hertzen et publiée dans la Cloche à Londres, — ordonne aux autorités des provinces de traiter les étudians avec la dernière sévérité, de ne les admettre dans aucun service, pas même comme secrétaires des communes. On traque ces malheureux jeunes gens dans tout l’empire, on leur refuse le pain et le sel, sans songer qu’un seul acte de ce genre détruit l’effet de dix oukases flamboyans de libéralisme, et laisse une impression que dix oukases nouveaux n’effaceront point. Je dois dire que M. Golovnine n’était pour rien dans ces rigueurs, œuvre du ministre de l’intérieur et du ministre de la justice. Il y a quelque temps, lorsque M. Milutine, le frère du général, était au ministère de l’intérieur, on avait eu l’idée de créer à Pétersbourg un conseil municipal dans certaines conditions d’indépendance. C’était là peut-être l’unique institution libérale que possédât la Russie ; encore est-elle restée suspendue tant que le général Ignatief a été gouverneur de Pétersbourg, et elle n’a commencé à devenir une réalité que depuis la nomination du prince Suvarof. Récemment M. Valouief s’est ravisé, et, par des règlemens nouveaux, il a réduit ce conseil à une insignifiance complète. La question a été agitée dans une réunion des ministres. M. Valouief n’a été appuyé que par deux de ses collègues, le comte Panine et le général Annenkof ; tous les autres membres du cabinet ont été opposans. La mesure n’a pas moins été adoptée malgré l’opinion contraire de la majorité du conseil. Voilà donc à quoi sert ce conseil des ministres dont la création a été représentée comme une garantie ! Voilà comment à travers tout le vieux fonds résiste, faisant de la politique