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pas oublier cette fois. M. Valouief se considère peut-être comme l’âme du gouvernement, et il a des amis de bonne volonté qui verraient presque en lui un Robert Peel ou un Casimir Perier. En réalité, c’est un homme d’une remarquable politesse, de la prévenance la plus courtoise, qui compte peu dans le gouvernement, et qui ne représente rien, peut-être parce qu’il voudrait tout représenter. Souple et adroit, il se prête facilement à tous les rôles : libéral avec les libéraux, réactionnaire avec les réactionnaires, et peu s’en faut même qu’il ne soit un peu Polonais avec les Polonais. Son talent consiste à passer avec de mielleuses paroles à travers tous les partis qui s’agitent autour de l’empereur, tantôt paraissant pousser aux réformes, tantôt écrivant les circulaires les plus étranges, les moins suspectes de libéralisme. En Russie, on l’a caractérisé d’un mot, d’un sobriquet significatif : on a transformé son nom de Valouief en celui de Vilaief qui veut dire louvoyant. Le caractère le plus évident du ministère russe avec ou sans M. Valouief, c’est l’incohérence, l’incompatibilité des élémens qui le composent.

Il y a eu un jour sans doute où l’empereur Alexandre a paru se préoccuper de ce mal de l’incohérence et songer à mettre l’unité dans le pouvoir en accomplissant une des réformes qui ont au premier moment le plus retenti en Europe, la création d’un conseil de ministres. On y vit presque le germe de ce qu’on nomme un ministère dans les pays libres. Malheureusement cette réforme, accomplie avec un certain éclat il y a six mois, n’était point une nouveauté, et telle qu’elle était, elle n’est point devenue une réalité. Depuis longtemps en effet, il y avait à Saint-Pétersbourg un comité des ministres qui se rassemblait une fois par semaine. C’était une institution qui faisait peu de bruit, et à laquelle nul n’attachait d’importance, parce qu’elle n’avait aucune action sur la marche des choses : rouage inutile, sans destination et sans but. Le nouvel oukase ne faisait que changer le nom en paraissant élargir un peu les attributions de ce comité, transformé en conseil, mais il y a loin de là encore à un ministère fondé sur une certaine solidarité de vues et d’action, et dans sa forme nouvelle, ou remise à neuf, cette institution n’a pas eu même une vie sérieuse jusqu’ici. Le système du passé n’a pas moins continué à être suivi, car il n’est vraiment pas facile de déraciner des habitudes qui se lient étroitement à la forme despotique et personnelle du gouvernement. Après comme avant l’oukase, la plupart des affaires se traitent directement, en audience particulière, entre l’empereur et chaque ministre. Le conseil se réunit, il y a des conversations le plus souvent stériles, et tout se décide ailleurs. Qu’en résulte-t-il ? C’est que tout se fait un peu au hasard. Il peut y avoir quelques ministres d’intentions libérales ; mais, renfermés dans la sphère de leur département, ils n’ont aucune