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transactions, l’empereur Alexandre n’a d’idée fixe et irrévocable que sur un point, l’émancipation des paysans. C’est son œuvre et le premier lustre de son règne. Dans tout le reste, il hésite, ne se livre jamais définitivement, et s’il n’est point de ces princes qui se laissent entraîner sans retour dans une politique à outrance, il n’est pas non plus de ceux dont les bonnes résolutions sont à l’abri des inconséquences et des mobilités. Flottant entre toutes les influences contraires qui s’agitent autour de lui, il cède tantôt aux unes, tantôt aux autres, quelquefois aux unes et aux autres simultanément, donnant raison aux amis du grand-duc Constantin et à leurs idées, et n’ayant d’un autre côté ni la volonté ni peut-être la force de décourager leurs tenaces adversaires. De là en quelque sorte deux courans permanens de libéralisme et de réaction tourbillonnant autour d’un même pouvoir et se neutralisant. D’utiles réformes sont adoptées quelquefois, il est vrai ; mais à l’œuvre elles disparaissent ou se dénaturent, parce que l’exécution est confiée à des généraux cordialement hostiles à tout progrès, à une bureaucratie corrompue, accoutumée à vivre d’abus, à s’entourer de mystère. On veut des réformes sans toucher au vieux, mécanisme de gouvernement du dernier règne, qu’on s’efforce de maintenir à tout prix, et malheureusement le grand-duc Constantin lui-même ne semble nullement s’apercevoir de ce qu’il y a d’incompatible entre ces deux choses. Qu’on songe bien qu’il y a en Russie près de quatre cents généraux et plus de trois mille officiers employés à des fonctions civiles comme gouverneurs de provinces, curateurs des universités, directeurs et inspecteurs de collèges, chefs des divers départemens administratifs, maîtres de police, et que tout cela forme une hiérarchie redoutable pour la résistance.

L’esprit de réforme est entré dans les conseils du gouvernement, il est vrai, avec M. Golovnine, M. Reutern, le général Milutine ; mais en même temps le ministère et les plus hautes fonctions n’ont pas moins continué à être peuplés des champions les plus violens et les plus opiniâtres de la réaction : le comte Panine, ministre de la justice ; le vieux et frivole général Adlerberg, le général Tchevkine, ministre des travaux publics, fort peu initié aux affaires de son département, et qui n’est après tout qu’un réactionnaire de plus ; le général Zelenoï, qui a succédé au général Muravief, et qui a les mêmes idées. Le prince Dolgoroukof a toujours le pouvoir illimité de chef des gendarmes de l’empire et de grand-directeur de la police secrète du cabinet impérial. Le ministère russe avait autrefois l’homogénéité d’un même esprit d’immobilité systématique ; dans sa composition nouvelle, il forme une galerie singulière où la figure la moins curieuse n’est point celle du ministre de l’intérieur, M. Valouief, dont on m’a reproché de n’avoir rien dit, et que je ne voudrais