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LES CAPRICES
D’UN RÉGULIER


V.

La colonne du capitaine Serpier n’eut à subir qu’une seule attaque[1]. L’ennemi, battu la veille, ne se rencontra point le lendemain. Zabori fit donc son entrée à Blidah sans nouvelles aventures. L’éloge de Blidah est un lieu commun de la poésie arabe. Le fait est que cette ville blanche, au milieu des bois odorans dont elle est entourée, ressemble à un camélia placé au centre d’un bouquet. Laërte ne put s’empêcher de songer à la célèbre chanson de Goethe : il était par excellence « dans le pays où fleurit l’oranger. » Son âme, si accessible à l’impression des choses naturelles, s’ouvrit à des émotions toutes-puissantes; dans cet air chargé de senteurs, il éprouvait un bien-être mêlé à de vagues appréhensions. Il goûtait les délices d’un de ces troubles dans lesquels se complaît la jeunesse. Ce sombre feuillage, avec ses fleurs virginales et ses voluptueuses émanations, promettait chez lui à des instincts cachés quelque tendre et fatale histoire. On verra que cette promesse devait s’accomplir.

Laërte, obéissant aux devoirs militaires, se rendit tout d’abord chez son colonel. Le marquis de Sennemont, qui commandait alors la légion étrangère, était, comme Serpier, un homme suivant le cœur de Zabori; ceux qui ont connu cet aimable officier l’ont comparé plus d’une fois au plus célèbre de ses compatriotes, au prince de Ligne. Le colonel de la légion ne fut pas appelé à mener la même

  1. Voyez la Revue du 15 avril 1862.