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LA RUSSIE
SOUS L'EMPEREUR ALEXANDRE II

II.
LA CRISE DE L'AUTOCRATIE ET LA SOCIETE RUSSE.

L’esprit du temps pénètre désormais dans toutes les régions, et dans sa marche victorieuse il ébranle jusqu’à ces empires massifs accoutumés à vivre d’une vie inerte sous l’autorité de gouvernemens dont l’essence a été, pendant des siècles, le mystère et l’immobilité. Il va sans doute souvent d’un pas inégal, et partout il ne procède point de même manière ; mais en quelque lieu qu’il pénètre, surtout s’il rencontre une société longtemps attardée, un des premiers, un des plus invincibles effets de sa présence, est de frapper d’une lumière accusatrice des mondes d’abus, de rendre palpable l’impossibilité des régimes vieillis, de faire éclater à la fois toutes les : questions de réorganisation morale et politique, de transformer, en un mot, la vie d’un peuple en un champ de bataille où tourbillonnent mille élémens, où se croisent toutes les passions, tous les intérêts, toutes les influences. C’est le drame de tout pays où s’agite, dans des ; conditions différentes, le redoutable problème des rénovations nécessaires. Telle est, à vrai dire, la vie publique de la Russie depuis le jour où s’éteignait l’empereur Nicolas, ce prince qui ne parut grand peut-être aux yeux de l’Europe que parce qu’il avait façonné son pays en un bloc gigantesque et informe au-dessus duquel seul il se dressait dans sa stature superbe, et qui, en mourant, après avoir tout épuisé, poussé à bout, ne pouvait attendre qu’un remplaçant,