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d’idées qui caractérise le talent de M. Félicien David. Le second mouvement de cet air est moins heureux, car il ne faut demander à l’auteur du Désert ni colère, ni transport, ni gaîté. Il soupire, il ne rit et ne se fâché jamais. Un petit nocturne entre Mirza et sa maîtresse précède un joli chœur que chantent les femmes qui viennent avec les présens du roi qu’on apporte à la princesse. Ce nocturne, ce chœur des suivantes, ainsi que la barcarolle que chante Noureddin en s’accompagnant de la guitare, sont des choses connues ; nous les avons entendues au premier acte, et la persistance des mêmes formes et des mêmes idées produit l’effet inévitable de la monotonie. Un duo bouffé entre Baskir et Noureddin, qui ne manque pas d’entrain et qui est une nouveauté dans l’œuvre tout élégiaque de ce charmant compositeur, est à peine remarqué par le public, qui a déjà le cœur affadi par tant de parfums et d’harmonies voilées. On trouve un peu plus de vivacité et de passion dans le duo d’amour entre la princesse et Noureddin, et le tout se termine par une marche triomphale qui célèbre le mariage de Lalla-Roukh et du roi de Boukharie, qui, aux sons de la mandoline, a conquis bravement le cœur de sa femme. Je pense avoir énuméré avec beaucoup de sollicitude tous les morceaux saillans et toutes les délicatesses de détails que renferme la nouvelle partition de M. Félicien David : les chœurs de l’introduction, la mélodie de Lalla-Roukh, la musique fine et originale du divertissement, le quatuor, la romance d’un accent arabe que chante Noureddin, quelques phrases du duo qui vient après, et la scène finale très heureusement combinée, quoique l’effet produit ne soit pas nouveau. Au second acte, j’ai signalé l’air de Lalla-Roukh, un joli nocturne pour deux voix de femme, le chœur des suivantes et quelques phrases délicieuses du duo entre Noureddin et la princesse. Telle est cette œuvre charmante de Lalla-Roukh, un vrai conte des Mille et Une Nuits ; où aucun des personnages qui y figurent n’a une physionomie qui lui soit propre, et où l’auteur du Désert a reproduit jusqu’à satiété les idées, les formes et le coloris discret qu’il a mis dans presque tous ses ouvrages. S’il me convenait de répondre à des interlocuteurs ridicules et sans consistance, je leur dirais que c’est ainsi que j’ai toujours apprécié ici le talent vrai, délicat et original dans sa sphère, de M. Félicien David.

L’exécution de Lalla-Roukh est assez bonne. Mlle Cico est tout à fait distinguée sous le costume oriental de la princesse. C’est une jolie femme d’abord, bien prise dans sa taille, et dont la voix de soprano est naturelle et sympathique. Elle chante avec mesure, avec goût, avec sentiment. Sa contenance sur la scène est noble et décente, et elle communique à l’auditeur l’émotion sincère dont elle est pénétrée. C’est une trouvaille pour l’Opéra-Comique que Mlle Cico. Mlle Bélia, dont je n’aime pas beaucoup la voix criarde ni le mauvais ton, tire un très bon parti du personnage allègre de Mirza, ainsi que M. Gourdin de celui de Baskir. Quant à M. Montaubry, il est dans le rôle important de Noureddin ce qu’il est partout : un chanteur de talent, un comédien svelte et zélé, à qui l’on souhaiterait un peu plus de naturel.

C’est le caractère saillant de l’art et de la poésie modernes que d’aspirer à peindre l’homme tout entier avec la diversité de ses instincts et de ses passions. On est sorti du cercle un peu étroit, du monde antique, on a secoué