J’ai retrouvé en fouillant de vieux papiers le souvenir déjà ancien d’une conversation sur la musique, dont quelques parties m’ont paru intéressantes et même dignes d’être placées sous les yeux des lecteurs. Mon interlocuteur, un jeune puritain d’humeur tendre et de conscience scrupuleuse, était un ennemi déclaré de cet art enivrant et irrésistible. Contrairement à l’opinion généralement répandue, il voyait dans la musique telle que l’ont faite le progrès des temps et son exil du sanctuaire, non une médiatrice entre le monde terrestre et le monde idéal, mais le plus formidable instrument de destruction morale qui eût jamais été inventé. Son imagination, ingénieusement sombre, avait même trouvé une explication singulière de la frénésie musicale de nos contemporains et de leur ardeur à répondre aux sollicitations qui leur sont faites chaque jour au nom du dieu, ou plutôt, pour conserver à son langage toute sa couleur mystique et puritaine, au nom du démon de l’harmonie. D’après lui, Satan, instruit par une longue expérience et de nombreux déboires, avait été amené à reconnaître deux vérités essentielles qu’il avait ignorées jusqu’à une époque très récente, ignorance qui plus d’une fois avait fait échouer les trames les plus fortement ourdies et les stratagèmes les mieux combinés de sa diplomatie. La première de ces deux vérités, c’est que les hommes avaient peur de lui lorsqu’il se présentait devant eux tel qu’il était, et qu’il déclinait son nom et ses qualités. Alors, comme ils savaient à qui ils avaient affaire, ils se tenaient sur leurs gardes et ne lui accordaient que peu de chose. Généralement il lui fallait s’en retourner avec des promesses fort vagues et des gages peu sûrs de fidélité, par exemple le blasphème d’un fou ou le cri de détresse d’un cœur malade. Ajoutez encore que la plupart du temps sa présence agissait
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DE LA MUSIQUE