Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 39.djvu/689

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

joie de l’œil et de l’âme, l’oubli des fatigues, des dangers, des incertitudes du retour, et le moment de braver plus de périls encore. — Tous mes compagnons partageaient la vivacité de ma jouissance. » Les courageux explorateurs se rendirent au village le plus proche du point où ils avaient touché le lac ; ce n’est qu’un amas de quelques huttes de gazon, appelé Ukaranga, abri temporaire des caravanes qui vont à l’autre bord. De là ils gagnèrent Kawelé, ancienne ville aujourd’hui dépendante de la ville nouvelle Ujiji, qui est le centre le plus important du commerce du lac.

Ujiji n’est pas le nom seulement d’une ville, mais aussi d’une province dont elle est le chef-lieu, et que l’on appelle quelquefois d’un autre nom, Manyofo. Les Arabes, qui rendent à l’Europe le service d’ouvrir et de préparer les voies en Afrique, ont pénétré seulement en 1840 dans l’Ujiji, dix ans après leur admission dans l’Unyamwezi. Ils jugèrent que cette ville serait un marché bien placé pour le commerce de l’ivoire et des esclaves avec les populations riveraines du lac. Leurs caravanes y font en effet de fréquentes visites durant la belle saison, de mai en septembre. On peut juger de la fertilité de « cette province par ses vastes forêts et par la puissance et la variété de ses fougères. Elle doit à la grande humidité du sol et aux ardeurs du soleil africain une fécondité qui produit des végétaux presque sans culture ; mais le climat n’est pas sain durant la saison humide. Le long des bords du lac, il y a des champs où le riz monte à huit et à neuf pieds. Les habitans lui préfèrent cependant le sorgho, bien que les déprédations des singes et les dévastations des éléphans leur fassent subir des pertes considérables. Le principal grain est le holcusi qu’on a vu employé à la fabrication du pombé. Le millet ne croît pas dans ces contrées.

Les bazars d’Ujiji sont bien approvisionnés de cannes à sucre, de tabac et de coton, de miel, de poisson, de bestiaux, parmi lesquels figurent les moutons à longue et lourde queue. Il y a aussi une espèce de petits bœufs, avec une bosse peu proéminente, originaires des montagnes du Karadwah. Ils sont d’un prix très élevé ; une seule vache n’est pas estimée moins que le prix d’un esclave adulte. Les indigènes mangent toute espèce d’animaux, depuis l’éléphant jusqu’à la fourmi termite, qui est un fléau de ces régions ; on y trouve aussi le tse-tse, cette mouche étrange, funeste exclusivement aux animaux domestiques, qui désole l’Afrique australe et le Haut-Nil.

Ujiji est le centre du commerce d’ivoire qui se fait à plusieurs milliers de kilomètres autour du lac, et aussi le grand marché d’esclaves. Les tribus d’Urundi, d’Uhha, d’Uwira, de Mariengu, lui en fournissent une quantité » considérable. Il y a lutte d’activité et de fourberie pour cet article humain entre les Arabes et les marchands