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phthisie. La cour centrale a ordinairement de belles plantations d’arbres, à l’ombre desquelles les enfans jouent, les hommes fument, les femmes travaillent. Il y a encore, attenant au tembé, une petite case, le nizimi, hutte au fétiche, où les dévots portent leurs offrandes. On remarque aussi dans les villes de l’Unyamweszi des lieux publics appelés iwanzas ; ils répondent aux cafés et aux cabarets des pays civilisés. Les noirs, qui aiment beaucoup à se trouver réunis, les fréquentent au détriment de leur travail. Dès le mâtin, après un premier repas, l’Africain s’en va, muni de sa pipe, à l’iwanza. Là il trouve une nombreuse compagnie exclusivement de son sexe, et il y passe la plus grande partie de la journée à bavarder, à fumer, à rire, et quelquefois à dormir comme une bête de somme. Il se livre aussi au jeu, et toujours avec frénésie. Ces sauvages risquent, dans leurs jeux de hasard primitifs, tout ce qu’ils possèdent ; il en est qui se jouent eux-mêmes et se livrent comme esclaves. Leurs femmes et leurs enfans leur servent aussi d’enjeux, et on en citait un qui, dans l’iwanza d’un village de ce pays de la Lune, avait joué sa mère contre une vieille vache.

Les femmes ont aussi leurs iwanzas, mais les étrangers n’y pénètrent pas ; ce sont des sortes de harems. Au contraire ceux des hommes sont toujours publics. Ce sont de larges huttes soutenues par de grossières colonnes. Le toit consiste en une couverture de chaume surélevée d’un pied au-dessus des murs, ce qui fournit une excellente ventilation. Une rangée de troncs raboteux et pointus protège l’iwanza contre l’invasion des bestiaux. Au linteau des deux portes d’entrée sont appendues dès queues de lièvres, des crinières de zèbres, des cornes de chèvres, servant d’appel au public, ou regardées peut-être comme étant douées d’une vertu protectrice. La moitié de l’intérieur est réservée à une espèce de lits en planches appelés ubiri, où s’étendent les dormeurs et les ivrognes. Les murs sont décorés avec des lances, des bâtons, des arcs, des pipes ; les plus somptueux établissemens sont ornés de défenses d’éléphans. Dans ces lieux, non-seulement on joue et on fume, mais aussi on mange. Beaucoup de noirs désertent leur ménage pour vivre à l’iwanza où surtout on consomme le pombé. Cette boisson, très commune sous divers noms à toute l’Afrique, s’appelle en Égypte buzah, dans l’extrême est et sur le Haut-Nil, merissa. C’est une espèce de bière sans houblon, faite moitié de grains, et moitié des herbes holcus et panicum, graminées très amères. On met dans l’eau ces divers élémens, et on les y laisse jusqu’à fermentation. Alors on les mêle à une égale quantité de farine et à un peu de miel. Le tout est bouilli trois ou quatre fois dans de grands pots, puis clarifié dans un filtre de nattes ; ensuite on le rend à la fermentation,