Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 39.djvu/681

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chutes qui l’embarrassent, mais il déploie de magnifiques paysages. La nature africaine s’y montre sous l’aspect le plus imposant, avec sa végétation puissante et variée. Les cocotiers, les arécas balançaient leurs couronnes au-dessus du rivage, semé de lis et d’autres fleurs éclatantes. Le makkl-el-schaytan, palmier du diable, qui n’a pas de tronc, projetait ses branches énormes à 30 et 40 mètres du rivage. Par malheur, l’homme a flétri de ses dévastations cette splendide nature : çà et là on voyait quelques vestiges de culture, des cases, la plupart désertes, portant encore les traces de l’incendie. Les habitans avaient disparu, à l’exception de quelques pauvres pêcheurs qui s’empressaient de prendre la fuite à la vue des étrangers. Le cri de quelques oiseaux d’eau, le murmure du vent, troublaient seuls le silence de cette solitude. Quelquefois aussi l’hippopotame, surpris par le bruit des rames, levait sur la surface de l’eau une tête étonnée ; de longs alligators, semblables à des troncs d’arbres, regardaient passer la barque d’un œil terne et endormi, et les singes effrayés grimpaient des pieds et des mains avec des gestes capricieux au sommet des arbres.

Après une rapide excursion à Fuga, lieu principal de l’Ousambara, composé de cinq cents huttes et peuplé de métis, d’Arabes et de Wasambaras, les deux Anglais revinrent à Zanzibar, d’où ils partirent à la fin de juin 1857 pour leur voyage dans l’intérieur du continent. Leur caravane se composait de douze soldats béloutchis, de guides, de porteurs, de domestiques, en tout quatre-vingts personnes. Trente ânes portaient les bagages. La caravane s’engagea dans l’ouest ; elle atteignit Zungomero, village situé au pied d’une chaîne qui présente une étonnante ressemblance avec les montagnes du Dekkhan, et que les voyageurs proposent, pour ce motif, d’appeler Ghâtes orientales. Elle ne s’élève guère à plus de 1,820 mètres. On l’appelle plateau de Wagogo ; le sol maigre n’est guère propre à la culture, et des forêts Vierges, peuplées de bêtes sauvages, en occupent la plus grande superficie. Cependant ses habitans, les Wanyamwezi, sont une population nègre active, à la fois agricole et industrieuse. À partir de ce point, la marche devint de plus en plus pénible : les voyageurs avaient à souffrir d’un soleil dévorant, presque perpendiculaire, de toute sorte de privations et des funestes influences d’un climat malsain. Ils arrivèrent, accablés de fatigue, dans la région d’Ugogo, et se reposèrent quelques jours dans la capitale, Ugogi. Ce pays est éloigné de la Côte de six semaines de chemin de caravane ; il est peuplé d’une race métisse. Ugogi est à 720 mètres au-dessus du niveau de la mer. Le climat est salubre, les nuits y sont fraîches et sans rosée, les brisés et les rafales de la mer tempèrent l’ardeur d’un soleil vertical.