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concessions obtenues ne pouvaient guère profiter qu’aux catholiques ; il valait mieux que cette prépondérance leur fût assurée par la force même des choses que par une stipulation particulière dont ils eussent été l’objet. Nous appliquions ainsi, dans un ordre d’idées plus élevé, les vues qui animaient les plénipotentiaires anglais signataires du traité de Nankin, quand ils déclarèrent ne rechercher pour leur nation aucun avantage commercial exclusif.

Si l’on examine le mouvement des échanges entre l’Europe et la Chine, on voit que la France est commercialement dans un état d’infériorité complet vis-à-vis de l’Angleterre, et cependant le prestige de notre pays dans ces contrées est, sinon supérieur, au moins égal à celui de la Grande-Bretagne. La France regagne, en s’appuyant sur l’élément religieux, ce qui lui manque sur le terrain commercial. L’action des deux pays, pour s’exercer par des voies différentes, n’en est pas moins réelle et efficace. Pendant que les négocians anglais apportent avec eux des germes de civilisation qui ne sont pas toujours exempts d’alliage, les communautés chrétiennes éparses sur le territoire de la Chine, les prêtres indigènes formés dans les séminaires du littoral, par les soins et sous les yeux de nos missionnaires, répandent partout l’influence et le nom français, les traditions européennes dans ce qu’elles ont de meilleur. Les négociations de 1844 ont favorisé et développé cet état de choses. Mon intention a été de rappeler comment M. de Lagrené avait obtenu d’un souverain dont l’autorité s’étend sur un tiers de la race humaine la proclamation du principe de la liberté de conscience. Les persécutions partielles, les violences et les crimes multipliés depuis par la cupidité des mandarins, la haine des bonzes ou le fanatisme du bas peuple, sont autant de pages affligeantes qu’il faut bien ajouter à l’histoire de la Chine, mais qui ne diminuent pas l’importance du principe posé en 1844. Les idées généreuses qui ont été jetées dans le monde n’ont presque jamais triomphé de prime abord d’une manière définitive : elles ont eu leurs momens d’éclipse ; plus d’une fois même il a semblé qu’elles faisaient la nuit plus complète. Tôt ou tard cependant l’obscurité se dissipe, l’idée reparaît ; elle revêt souvent une forme nouvelle, elle est reprise par d’autres hommes, et finit par porter ses fruits.


Cte BERNARD D’HARCOURT.