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que celui des exemplaires du traité conclu avec les États-Unis qui était destiné à être publié en Chine avait subi, une altération, que le caractère correspondant au mot « les étrangers » avait été remplacé par le caractère correspondant au mot » les barbares. » Il s’en expliqua d’une manière très nette vis-à-vis de Ki-yng, qui fit la réponse suivante :


« Hier, j’ai reçu une dépêche de votre grandeur. En lisant ces choses, j’ai été saisi d’étonnement. Ce qu’il y a de plus important pour tout homme en ce monde, c’est la foi et la justice. Or depuis que, par un bienfait signalé de notre grand empereur, j’ai été chargé de gérer les affaires relatives aux cinq ports, les envoyés des différens royaumes ne m’ont point regardé comme un homme inutile ; tous ont eu pour moi de l’affection et de l’amitié, et ils m’ont témoigné leur satisfaction comme s’ils m’avaient connu depuis longtemps. Dans tous les traités qui ont été faits, on s’est prêté aux délibérations avec condescendance, on s’est efforcé de tout régler le mieux possible. Je crois aussi qu’on s’est reposé sur ma constance à garder la foi et la justice, et c’est pour cela que tous ont témoigné du plaisir à traiter avec moi les affaires publiques et m’ont cru sans conserver le moindre doute. Si l’on prend le traité qu’on a conclu en présence les uns des autres, et qu’à l’époque de le présenter à l’empereur on y fasse des changemens, bien plus, qu’on y ajoute des caractères injurieux, où est la foi, où est la justice ? Les anciens d’ailleurs ne nous ont-ils pas laissé cette sentence : « si on méprise un homme qui n’est point méprisable, le mépris retombe sur soi-même ? » Or l’envoyé Cushing est un homme plein de droiture et de douceur, avec lequel j’ai eu des rapports d’amitié intime. C’est un homme qui n’a rien en lui de digne de mépris ou d’injure. Je me serais donc livré à une malversation qui ferait retomber sur moi le mépris et l’injure ! Ajoutons que l’exemplaire du traité que l’on met respectueusement dans les archives et qu’on livre à la publicité, c’est celui-là même qui a été approuvé et signé par l’empereur, qui a été revêtu de mon sceau officiel, que l’on a envoyé ensuite avec une dépêche dans les cinq ports, afin que tout le monde en prenne connaissance et qu’on l’observe à perpétuité. Comment peut-il s’en trouver un exemplaire ? Si l’on fait attention à ce qui a été pratiqué depuis les temps anciens jusqu’à nos jours, on voit qu’en Chine, comme ailleurs, il n’y a que les pièces revêtues du sceau qui aient fait foi dans la question d’affaires publiques. Toute copie secrète, toute publication faite par la circulation de copies privées n’a jamais été produite en témoignage, car en vérité tout individu a une bouche pour parler et une main pour écrire, et des changemens et amplifications que chacun peut faire, il peut facilement résulter des erreurs et des fautes. À combien plus forte raison, lorsqu’il se trouve des jaloux qui, redoutant de voir régner la bonne intelligence, remplacent certains caractères par d’autres dans l’espoir de causer la désunion ! Si on ajoute foi à leurs paroles un seul instant, il en résulte bien des dommages qu’il est impossible de décrire. Votre noble grandeur a une très grande pénétration. Je suis certain que vous avez le bon esprit de ne pas vous laisser ébranler par les bruits mensongers que l’on répand. Quant au