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dans cette voie. La cour de Pékin n’avait pas été débarrassée, par la conclusion de la paix, de tout sujet de préoccupation vis-à-vis des Anglais. Pour assurer l’entier accomplissement des stipulations du traité de Nankin, sir Henry Pottinger avait exigé que l’île de Chusan restât provisoirement entre les mains de son gouvernement. Les Chinois craignaient vivement ou qu’on ne leur rendît pas Chusan à l’époque fixée, ou que de nouvelles exigences ne fussent formulées au moment de la reddition. En outre ils s’étaient engagés vis-à-vis de sir Henry Pottinger à laisser aux étrangers, dès que les mesures nécessaires pour la garantie de leur sécurité auraient été adoptées, le libre accès de la ville entière de Canton, et non plus seulement du quartier des factoreries. Or les incidens de la dernière guerre avaient causé dans cette cité populeuse une fermentation qui effrayait les mandarins, et ils reculaient autant qu’il était en eux : le moment de remplir l’engagement qu’ils avaient contracté.

Les plénipotentiaires chinois prenaient volontiers le représentant de la France pour confident de leurs inquiétudes. M. de Lagrené ne craignit point de leur faire entendre de dures vérités. « Il n’y a que deux moyens, leur disait-il, pour se mettre à l’abri d’agressions injustes et d’exigences mal fondées : il faut ou disposer de ressources militaires qui permettent de repousser l’attaque, ou s’être fait à l’avance des alliés qui, au jour du péril, viennent interposer leur puissante médiation. Vos ressources militaires sont nulles, comparées à celles des gouvernemens européens, l’événement l’a prouvé. Toute l’activité de votre nation s’est portée sur les arts de la paix, au détriment de ceux de la guerre. Les vaisseaux de l’Occident auraient amené sur votre territoire des masses d’hommes considérables bien avant que les troupes mal armées et mal équipées que vous entretenez aient pu arriver sur le théâtre de l’action. Reste donc l’autre moyen de défense, qui consiste à avoir des amis. Faites en sorte de vous créer des alliances et d’écarter tout ce qui peut refroidir à votre égard ceux des peuples d’Occident qui ont des flottes et des bateaux à vapeur. »

Ces idées, que M. de Lagrené développa à plusieurs reprises pendant les conférences et entrevues qui précédèrent le traité de Whampoa, produisirent une grande impression. Les Chinois avaient beaucoup redouté qu’à l’exemple des Anglais et des Portugais, la France ne voulût être mise en possession d’une des îles du territoire chinois ; quand ils s’aperçurent que nos demandes ne portaient pas sur cet objet, ils en éprouvèrent un grand soulagement, et se montrèrent animés des dispositions les plus amicales. Une autre éventualité qui leur causait beaucoup de soucis était que la mission française voulût se mettre en route pour Pékin. M. de Lagrené ne leur