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des connaissances qui dépassaient de beaucoup celles de la plupart de ses compatriotes ; ses manières étaient graves et dignes. Il était loin de partager tous les préjugés dont la cour de Pékin était imbue ; cependant sa valeur personnelle, sa qualité de proche parent de l’empereur, les services qu’il avait rendus, lui assuraient une grande influence, et il passait pour l’exercer dans un sens favorable aux demandes des étrangers. des l’ouverture de la longue correspondance qu’il échangea avec lui, M. de Lagrené avait été frappé de la manière dont il traitait les questions religieuses et de l’esprit de tolérance dont il faisait preuve. Voici quels étaient les termes de la première lettre que Ki-yng écrivait au début des négociations pour expliquer l’ajournement d’un voyage projeté de Canton à Macao :


« Ki, grand-commissaire impérial, à Lagrené, grand-commissaire impérial du grand empire de France.

« Une dépêche du ministère fixe au troisième jour de la huitième lune le sacrifice au très saint docteur Confucius, et au quatrième jour le sacrifice aux esprits patrons de l’empire. Il faut absolument que moi, haut fonctionnaire, en compagnie des magistrats de service de tout rang, je me livre aux prières et aux purifications pour offrir ces sacrifices, lesquels sont pour la Chine des sacrifices très grands, ne différant en aucune manière des adorations que votre noble empire adresse au Dieu suprême… Je sais bien que votre noble grandeur est pressée par le désir que nous nous rencontrions, afin de manifester ses nobles sentimens ; mais voilà que de grands préceptes surviennent coup sur coup pour retarder un peu notre entrevue. Les relations mutuelles entre nos deux empires sont fondées sur les convenances, comme les rapports personnels entre nous sont fondés sur la sincérité. Je pense donc que votre noble grandeur ne prendra assurément pas ces choses en mauvaise part. Aussitôt que mes affaires seront terminées, j’irai à Macao, où je verrai certainement votre noble grandeur et l’accueillerai avec l’urbanité que l’hôte doit à son hôte. Mon cœur sera tout entier aux délibérations dans les affaires de nos deux empires ; nos rapports très fréquens ne se borneront pas à un espace de dix jours : un traité clair et détaillé accroîtra et affermira la paix pour dix mille ans ; peu importe que cela ait lieu quelques jours plus tôt ou plus tard. Il fallait d’avance vous dépêcher cette réponse eu chargeant un magistrat de vous la présenter et en vous souhaitant toute sorte de félicités. (Dépèches qu’il est nécessaire de lire.) »


Il était assez remarquable de voir un mandarin du rang le plus élevé établir une sorte de parité entre son culte et celui d’autres nations. M. de Lagrené se promit de profiter plus tard de ces dispositions ; mais il entrait dans son plan de conduite de ne faire aux Chinois, à l’endroit dès questions religieuses, aucune ouverture directe, et d’attendre qu’ils vinssent eux-mêmes au-devant de lui