Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 39.djvu/659

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en Chine étaient insignifians, qu’à côté des Anglais et après les succès militaires remportés par eux dans leur dernière lutte contre l’empire du milieu, nous ne pouvions avoir qu’une attitude un peu effacée. Quelques personnes néanmoins ne se laissaient point aller à ces prévisions chagrines ; un écrivain éminent disait à M. de Lagrené au moment de sa nomination : « Je vous félicite, vous avez la mission du siècle ! » L’expression peut paraître emphatique, la pensée était juste. D’année en année, la tendance à prendre part aux questions qui agitent l’extrême Orient s’est de plus en plus accusée. L’ouverture de la Chine et du Japon à la civilisation européenne restera certainement un des faits les plus saillans de notre époque.

Bien avant les événemens considérables qui s’accomplissent aujourd’hui dans ces contrées, M. de Lagrené avait tracé le premier sillon. Les traités qu’il a conclus ont été le point de départ de toutes les négociations ultérieures. Quand nos agens plaidaient la cause de nos nationaux et coreligionnaires, c’est en invoquant les concessions obtenues par lui. Quand nous nous sommes décidés à intervenir les armes à la main, c’est en arguant de l’inexécution des conventions. Nous avons pu arriver ainsi à Tien-tsin et à Pékin, non à titre de conquérans, mais à titre de parties lésées qui demandent justice.

L’édit sur la liberté de conscience, promulgué en 1844 par l’empereur de la Chine, changeait complètement la situation des chrétiens. Il n’était pas impossible de prévoir dès lors que l’application de l’édit donnerait lieu à des difficultés sur divers points de l’empire, et que les mandarins ne mettraient pas partout une égale sincérité dans l’accomplissement des ordres de leur maître ; mais le fait seul de voir le chef absolu d’une nation de trois cent millions d’âmes déclarer que nul ne devait être inquiété ou persécuté pour cause de religion avait une grande importance. Sans employer d’autres moyens que la persuasion on avait déterminé le plus puissant souverain de l’Asie à proclamer un principe qui, même en Europe, n’est pas encore universellement admis, et qui, là où il domine, n’a triomphé qu’après des luttes acharnées et sanglantes. En m’appuyant sur les dépêches mêmes de M. de Lagrené et en me servant de mes propres souvenirs (1), j’ai l’intention d’exposer brièvement par quel ensemble d’habiles et persévérans efforts les plénipotentiaires chinois furent amenés à faire les concessions que l’on désirait d’eux.

Ki-yng, le principal plénipotentiaire, avait une intelligence et