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Mais ce n’était pas seulement à l’extérieur qu’il fallait voir nos vaisseaux ; il valait surtout la peine de les visiter à l’intérieur pour juger des progrès sérieux que nous avions fait faire à tous les détails du matériel et de l’armement[1]. Tandis que les Anglais, s’en tenant aux traditions de Nelson, semblaient conserver avec opiniâtreté les engins et la manière de faire au commencement du siècle, lorsque, même sur leurs vaisseaux neufs, comme le Rodnet et le Vanguard, ils en étaient encore à se contenter pour leurs canons des batteries à silex et des cornes d’amorce[2], lorsque leurs cales rappelaient encore scrupuleusement les dispositions du bon vieux temps, lorsque leurs états-majors, logés aristocratiquement dans les batteries de leurs vaisseaux, refoulaient les équipages dans les cales et dans les faux ponts, chez nous tout était nouveau, ou du moins très considérablement perfectionné. C’était dans le gréement le système de ridage à vis de M. Painchaud substitué aux anciens caps de mouton, c’était dans la cale et dans le faux pont un arrimage sur de nouveaux plans, des installations qui ne laissaient pas un pouce d’espace de perdu, qui assuraient une meilleure conservation

  1. Reconnaissons toutefois, malgré la réputation qui survit encore à la fameuse corvette la Diligente, que nous avons toujours moins bien réussi que nos voisins dans la construction des bâtimens légers. Même l’Eurydice, l’Artémise, la Bayonnaise, qui étaient de petites frégates, quoique le caprice du langage administratif les qualifiât de corvettes à gaillards, n’ont jamais égalé leurs semblables de la marine anglaise, telles que l’Iris, etc. Mais c’est particulièrement pour les bricks, les goëlettes, les cutters, que les constructeurs anglais se sont montrés plus habiles que les nôtres. Le fait est, je crois, généralement reconnu par les officiers de notre marine, comme la supériorité de nos vaisseaux et de nos frégates est presque universellement admise en Angleterre. Je ne connais que M. Lindsay qui ait mis en doute ce dernier point. Je me rappelle en effet les remarques peu obligeantes qu’il fit dans un discours public en 1858, lorsqu’au retour des fêtes de Cherbourg il cherchait à rabaisser tout ce qu’il avait vu chez nous. Il disait entre autre choses qu’il y avait assisté au lancement d’un assez pauvre vaisseau, la Ville-de-Nantes ; mais je me rappelle aussi la réponse qui lui fut faite par l’amiral Napier dans une lettre publiée par le Times, et qui contenait cette phrase, empreinte d’une franchise très catégorique : Never in your life, never you saw so fine a two decker (de votre vie, vous n’avez vu un aussi beau vaisseau à deux batteries).
  2. Étant en rade de Hong-kong en 1845, j’ai encore vu tirer un salut par la frégate anglaise qui commandait la station à l’aide de barres de fer roupies au feu de la cuisine ! Je ne l’eusse peut-être pas cru, si on me l’eût raconté ; mais j’étais de ma personne présent dans la batterie où l’on employait sous mes yeux ce procédé tout à fait primitif.