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décidé à l’apprendre. Ses capitaines étaient devenus ses collaborateurs, et en voyant leur amiral faire acte de modestie avec eux ils ne craignaient pas de se mettre à l’école avec lui. Les exercices et les manœuvres étaient incessans ; aussi les Anglais, qui n’auraient peut-être pas su obtenir de leurs équipages une résignation pareille à celle que les nôtres montrèrent alors, tournaient-ils souvent en moquerie l’éternelle répétition de ces exercices si monotones ; ils demandaient en plaisantant quand ces écoliers auraient fini leurs études. Un jour sir Charles Napier répondit que ces écoliers étaient passés maîtres.

On a dit que cette manière de faire ne saurait être érigée en système, et qu’elle ne pourrait pas devenir la règle d’existence d’une armée navale permanente. Je l’admets sans peine, et je suis persuadé que si l’amiral Lalande fût resté plus longtemps à la tête de la flotte, il eût lui-même changé ses procédés ; mais quelle est la valeur de cette observation, qui d’ailleurs ne porte pas juste ? En effet, elle suppose quelque chose qui n’existait pas lorsque l’amiral Lalande prit le commandement de la station du Levant, c’est-à-dire une armée ou du moins une escadre permanente. Quand le hasard des événemens fit maintenir une division dans les mers du Levant et quand l’heureux choix du ministre nomma l’amiral Lalande au commandement de cette division, il en était à peu près de notre marine comme de l’armée anglaise avant la guerre de Grimée, lorsque le duc de Wellington disait à la chambre des lords : « Vous avez des bataillons, de beaux et de bons bataillons ; mais vous n’avez pas d’armée. Tout cela manque d’organisation générale et de cohésion. Vos généraux d’aujourd’hui ne savent eux-mêmes rien de plus que l’école de bataillon. Si demain je conduisais six mille hommes dans Hyde-Park, il faudrait que j’eusse bien de la chance pour mettre la main sur un général qui fût capable de les en faire sortir sans hésitation et sans fausse manœuvre. » De même nous entretenions alors déjà quelque deux cents bâtimens armés, mais on n’en réunissait jamais un certain nombre qu’en vue de circonstances passagères et qui ne pouvaient donner lieu à un travail d’ensemble suivi. Le grand mérite de l’amiral Lalande, c’est d’avoir montré par d’admirables résultats les avantages que l’on pouvait tirer de l’existence d’une escadre permanente, et de l’avoir si bien prouvé que l’institution qui lui a survécu ne sera plus désormais abandonnée. Avec lui, l’escadre de la Méditerranée, l’escadre d’évolution, comme on voudra l’appeler, a traversé l’âge de la jeunesse ardente, inexpérimentée, et elle a pu atteindre la maturité vigoureuse et réfléchie ; mais lorsqu’il fallait lui donner un corps, lorsque surtout il fallait faire vite autant pour répondre aux exigences de la politique extérieure que pour séduire à l’intérieur ceux qui tenaient les cordons de la bourse, il