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côté de la Manche auquel nous ne puissions répondre, ou que nous ne soyons en mesure de rétorquer avec avantage ; mais nous ne sommes pas assez inexpérimenté pour croire que notre argumentation, si solide et si loyale qu’elle soit à nos yeux, aura la vertu de convaincre personne, en Angleterre du moins. Les causes.de cette situation, les causes vraies, qu’on ne dit pas, ou que du moins on ne dit que très rarement en Angleterre, sont nombreuses et diverses ; il nous semble cependant qu’elles peuvent se classer sous quatre chefs principaux : c’est d’abord la défiance instinctive que les formes actuelles de notre gouvernement inspirent à l’opinion de l’autre côté du détroit ; ensuite c’est la position intermédiaire que notre marine occupe à une égale distance entre la marine anglaise et celles de toutes les autres puissances ensemble ; en troisième lieu, c’est la part de gloire ou d’influence que le hasard des circonstances ou les qualités de nos marins ont value depuis quarante ans à notre pavillon ; enfin c’est le mérite relatif de l’administration de notre marine militaire comparé au décousu qui règne dans toutes les opérations et dans le gouvernement général de l’amirauté anglaise. Ses erreurs, qu’elle ne veut naturellement pas confesser, elle essaie de les couvrir en poussant de temps à autre des cris désordonnés contre ce qu’elle appelle la dangereuse ambition ou les combinaisons secrètes de la France, laquelle a cependant ouvert jusqu’ici ses arsenaux à l’investigation des Anglais avec un libéralisme qui n’est pas payé de retour. Il n’importe : lorsque, par suite de fausses manœuvres ou d’imprévoyance, l’amirauté se trouve dans quelque situation gênante vis-à-vis des contribuables, il se » rencontre toujours dans le parlement, parmi ceux qui sont actuellement responsables de cette situation ou qui l’ont créée par leur zèle malentendu, quelqu’un qui vient dénoncer une conspiration nouvelle de la France, qui s’écrie que la patrie et la marine anglaise sont en péril. On obtient ainsi beaucoup d’argent ; malheureusement aussi on irrite l’opinion, au lieu de l’éclairer, de telle sorte que nous sommes presque autant intéressés que les Anglais eux-mêmes à voir imprimer une direction mieux entendue aux affaires de leur marine militaire.

Il est plus facile de signaler que d’expliquer la défiance que les formes actuelles de notre gouvernement inspirent aux Anglais. Ils se disent bien quelquefois eux-mêmes que ce gouvernement ne leur a manqué de foi ni en Crimée ni en Chine, et qu’en 1857, au moment où l’insurrection indienne appelait de l’autre côté du cap de Bonne-Espérance tous les soldats et tous les navires dont l’Angleterre pouvait disposer, ce même gouvernement n’a pas profité de l’occasion pour réveiller quelqu’une de ces questions dangereuses qui sommeillent toujours entre deux nations aussi riches, aussi puissantes,