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absolu des océans, raison d’une prépondérance politique permanente et source d’intarissables richesses ! Gênes, Venise, le Portugal ont disparu du nombre des puissances maritimes ; la Russie ne possède qu’une marine officielle qui n’a pas de racines dans la nation ; la Turquie, qui devrait être, ne sera rien aussi longtemps que le trône de Constantinople ne sera pas occupé par un prince chrétien ; l’Allemagne cherche avec la laborieuse patience qui la caractérise à résoudre le problème de la création d’une flotte allemande ; la Hollande et les Scandinaves, toujours dignes d’eux-mêmes et de leurs glorieuses traditions, sont cependant trop peu nombreux et trop peu riches pour avoir aujourd’hui de véritables armées navales ; les États-Unis, qui pourraient en avoir une ne le veulent pas ; l’Italie n’est pas encore constituée ; l’Espagne commence seulement à sortir de sa longue impuissance. En définitive, il n’y a que la France qui fasse ombre dans ce tableau, si réjouissant pour le cœur d’un patriote anglais. Donc c’est la marine française qu’il faut arrêter dans son développement, d’autant plus que si on laisse aller les choses, si les États-Unis parviennent à rétablir l’ordre chez eux, si l’Italie s’empare enfin de ses destinées, si l’Espagne continue dans la voie de progrès où elle semble entrée depuis quelques années, il n’est pas tout à fait absurde d’imaginer telle hypothèse où ce noyau de notre marine servirait de point de ralliement à tous ceux qui, ainsi que nous ont besoin pour leurs intérêts et pour leur dignité de jouir de la liberté des mers comme d’une réalité, et non pas comme d’une faculté accordée à leurs sujets ou à leurs pavillons par la tolérance de l’Angleterre.

De là l’aigreur. Cependant tout homme sensé devrait souhaiter le maintien des bonnes relations, qui sont un bienfait pour les deux pays et pour le genre humain tout entier ; il devrait donc regarder comme très précieuse, si elle était possible, la conclusion d’un arrangement qui préviendrait le retour des contestations peu amicales que les armemens des deux marines provoquent et rendent chaque jour plus vives des deux côtés du détroit. Je ne sais s’il en faut désespérer ; mais à moins que les Anglais ne consentent à modifier les doctrines impérieuses et exclusives qu’ils annoncent l’intention de vouloir faire triompher sans égard pour l’indépendance des autres, je considère la chose comme à peu près impossible. L’Angleterre aujourd’hui nous conteste, et chaque jour elle le fait plus vivement, le droit de construire ou d’armer telle ou telle espèce de bâtimens de guerre. Pouvons-nous lui rendre ce droit, lorsque nous la voyons elle-même étonner le monde par la prodigieuse quantité de vaisseaux et de frégates qu’elle vient ou de construire, ou d’achever, ou de convertir en bâtimens à hélice, ou d’armer coup sur coup ? Y a-t-il