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que les roches granitiques de l’île d’Elbe lui brûlaient les pieds dans ses courses, et, superstitieux comme tous les vieux mineurs allemands, il croyait a priori à la richesse des filons dirigés au sud et à la stérilité de ceux qui marchaient vers le nord.

C’est à ce curieux personnage que Léopold II avait confié le soin de diriger les usines de Follonica ainsi que les mines de l’île d’Elbe. Sur ces dernières, on exploitait toujours le minerai à ciel ouvert comme une carrière, et sans aménager le gîte. Ainsi avaient fait les Étrusques, et après eux les Romains ; ainsi faisait notre Saxon. Depuis trois mille ans, des bourriquets étiques descendaient le minerai de fer des montagnes de l’Elbe, et sur un petit pont en charpente, renouvelé quand il était pourri, des porteurs, la face rougie par la poussière ferrugineuse, jetaient corbeille par corbeille le minerai dans de petits bateaux. Le directeur des mines grand-ducales se fût bien gardé de rien changer à une aussi ingénieuse méthode. Fier de son titre officiel, sonnant haut, comme il convient pour un tel emploi, celui de reggio consultore pegli affari di miniere, il habitait tranquillement Florence, paraissait souvent à la cour, mais rarement dans l’Elbe ou la Maremme. Les princes n’aiment guère qu’on les conseille, même pour leurs affaires de mines ; aussi l’ingénieur royal se bornait-il à ne conseiller le grand-duc que lorsque celui-ci réclamait un avis. Léopold avait bien le goût de la métallurgie et des mines, et il ne demandait qu’à conduire sagement tant ses forges de terre ferme que ses mines insulaires ; cependant, depuis plusieurs années, il était visiblement occupé d’autre chose, et tournait fréquemment ses regards vers l’Autriche, comme pour conjurer avec son aide un orage qui devait finir par l’emporter.

De graves préoccupations politiques pesaient donc sur le gouvernement de la Toscane quand je visitai Follonica ; mais le minerai de l’île d’Elbe est si pur, si riche et en même temps si fusible que tout marchait à souhait dans les usines grand-ducales, sauf les améliorations. Le reggio consultore n’en recueillait pas moins sa part de complimens à chaque visite du maître, et, comme la mouche du coche, s’attribuait presque tout le succès. Aujourd’hui tout a changé : la révolution italienne, en éloignant le prince autrichien, a forcément amené la démission de son ignorant conseiller, et un ingénieur français sorti d’une de nos écoles a pris la place du manœuvre allemand. Follonica est transformée ; les habitans étonnés ont pour la première fois entendu les mugissemens de la machine à vapeur. De nouveaux fourneaux ont été construits, et le bruit métallique des laminoirs a remplacé le son étourdissant des vieux marteaux ; ceux-ci sont allés avec la trompe rejoindre les mânes des Étrusques. Il faut espérer que ce n’est là qu’un premier pas.