Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 39.djvu/601

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tous les facchini que Livourne entretient en si grand nombre, me proposaient au contraire leurs services avec une insistance fatigante. Ils m’accompagnaient en bandes dès qu’ils me voyaient dans la rue, et à leur troupe se joignait celle des mendians effrontés, non moins acharnés que les facchini contre ma signoria illustrissima. Ce fut donc autant pour échapper au bruit de la cité marchande qu’aux poursuites des commis de place et des mendians que je me décidai un matin à traiter avec le vetturino Gamba Corta pour aller visiter la Maremme toscane. Cette partie de l’Étrurie est peu connue des voyageurs, et les Toscans eux-mêmes en redoutent le climat malsain ; mais elle est très intéressante à étudier au point de vue minéral et archéologique, et je bravai volontiers les fièvres pour entreprendre une excursion que si peu de touristes ont faite.


I. — LA VOIE EMILIENNE. — POPULATION.

Gamba Corta m’avait été présenté par il signor De’ Vecchi l’heureux patron de l’hôtel Victoria-et-Washington. Cet hôtel, l’un des plus élégans de Livourne, attire, à la faveur de sa double enseigne, les Anglais et les Américains qui abordent en Toscane. Ils y fraternisent à la table d’hôte, ils y vivent porte à porte, en bons voisins. J’étais venu me perdre au milieu d’eux par suite d’une vieille habitude, car j’étais déjà le client du signor De’ Vecchi à l’époque où son hôtel, plus modeste, dédié seulement à la » Victoire, et non à la reine d’Angleterre, ne portait encore que le nom d’Albergo della Vittoria. Mon hôtelier occupait alors l’entrée de la rue Ferdinande, et n’étalait pas sur les quais l’orgueilleuse façade de sa maison.

Le voiturin que m’avait proposé De’ Vecchi, fidèle à l’heure du rendez-vous, vint me prendre devant l’hôtel, et nous sortîmes bientôt de la ville par la Porte-Maremmane. Là j’eus toutes les peines du monde à faire comprendre à un douanier récalcitrant qui bouleversait ma malle qu’un vêtement dont il voulait me faire payer la sortie avait déjà été porté. Douce compensation qu’offrent au voyageur les douaniers d’un port franc de l’ennuyer quand il quitte la ville, s’ils ne le tracassent pas à l’entrée ! Gamba Corta criait comme moi, et déplorait en termes énergiques l’incident malheureux qui marquait d’un si fâcheux début notre course vers les maremmes. Le trop fidèle agent du fisc se rendit de guerre lasse à nos raisons, et mon cocher, autant pour célébrer sa victoire que pour réparer le temps perdu, fit claquer son fouet et lança ses chevaux au galop. Nous entrâmes en triomphateurs sur la voie Émilienne, tracée le long du littoral. Elle a été ainsi nommée parce qu’elle occupe, sur une grande partie de son parcours, l’emplacement même de l’ancienne