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« il vaut tant de mille livres de rente, » ou, dans le cas contraire, le terrible nobody, ce n’est « personne, » cette question et cette réponse peignent toute l’Angleterre.

La royauté nomme à tous les emplois, mais d’après l’inévitable et absolue influence du parlement. Le roi déclare la paix ou la guerre, mais ne saurait un seul jour soutenir l’une ou l’autre sans la permission des chambres : il peut dissoudre un parlement, mais pour en faire nommer immédiatement un autre, et c’est toujours aux chambres que dans ce conflit reste la victoire. On a souvent vu imposer un ministère au roi par le parlement, mais jamais au parlement par le roi. La royauté en Angleterre est un énorme et indispensable blanc seing en dehors duquel rien n’a de valeur, mais que se disputent et remplissent à leur gré les habiles parmi les plus riches et les plus puissans du pays.

Quant aux forces vives de l’Angleterre, à cette classe qui remplit toutes les fonctions petites ou grandes dans le gouvernement et les chambres, qui fait et subit tour à tour l’opinion du Times et du reste de la presse, qui fournit ces légions de touristes amateurs et politiques qui vont par le monde critiquant les gouvernemens et méprisant les peuples étrangers, nous en pourrions trouver le dénombrement tout fait dans le passage du livre de lord Brougham[1] où il suppute les forces de résistance que la nation possède pour s’opposer à tous les changemens subversifs. Les deux cent mille propriétaires fonciers, les six cent mille détenteurs de la rente et des effets publics, les grands commerçans et manufacturiers, dont l’auteur ne donne pas le nombre, mais qu’on pourrait peut-être porter à deux cent mille, voilà l’Angleterre ou plutôt la partie de l’Angleterre qui compose le gouvernement ou le soutient. Ajoutez à ce million de citoyens deux ou trois cent mille électeurs, pris dans les villes et les campagnes, et vous aurez complété le nombre d’un million deux cent trente-sept mille électeurs anglais que citait naguère encore M. Baroche[2], et qui gouverne tout le royaume-uni et ses vastes possessions. Le reste de la population est pauvre, sans être pour cela délaissée ; son travail et son industrie sont habilement et efficacement protégés par des lois libérales ; mais aussi au moindre signe de trouble ou de révolte la ligue de la richesse et de la propriété se trouve inébranlable et décidée à tout. Miséricordieux et bienfaisans pour les classes nécessiteuses, dont les intérêts les préoccupent tant qu’elles sont résignées, tous les riches du pays courraient aux armes, si ces classes faisaient mine de se révolter,

  1. Pages 387-388.
  2. Discours au corps législatif en réponse à M. Jules Favre (Moniteur du 15 mare 1861).