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ainsi fait qu’une fois la guerre engagée, la fermeté du ministère et des lords suffit pour arrêter tout désir inopportun de conclure une paix qui pourrait compromettre l’état, ou marquer d’une flétrissure l’honneur national. »

Un avenir prochain nous apprendra sans doute ce que vaut l’affirmation sur l’Amérique du noble auteur, qui dissimulé mal la vieille rancune de famille qui subsiste encore entre la métropole et les anciennes colonies émancipées. Ce pays a déjà trompé bien des appréciations et des prédictions politiques. La supériorité des institutions anglaises sur celles des États-Unis, d’après lord Brougham, tient à la vigueur et à l’unité que la couronne donne à l’ensemble de la constitution ; elle en fait un instrument de règne et d’administration complet et suffisant.

Le couronnement de tout l’édifice politique et social est donc la royauté, qui représente le pouvoir exécutif ; mais ce couronnement est-il une force ou un ornement de la constitution ? Comment les Anglais se sont-ils tirés de la grande difficulté des gouvernemens représentatifs, c’est-à-dire des conflits difficiles à éviter entre le gouvernement personnel du roi et celui des chambres ? Lord Brougham ne répond guère à ces questions importantes. Le roi représente le pouvoir exécutif ; mais ce pouvoir est en réalité aux mains des ministres, que le roi a la sagesse de choisir avant qu’on les lui impose, mais qui, en revanche, se font un point d’honneur de respecter et de couvrir toujours la majesté royale, quels que soient les rivalités, les dissentimens et les haines personnelles ou politiques, qu’ils ont soin de cacher dans leurs triomphes comme dans leurs défaites. Dirons-nous, comme dans ses mémoires je ne sais plus quel bourgeois de Paris du XVIIIe siècle, à qui un Anglais cherchait à faire comprendre la constitution et la monarchie anglaises : « Ah bien ! je plains vos princes ! » Non certes ; mais enfin si les Anglais étaient bien francs et très sincères, ils avoueraient peut-être qu’au fond le véritable esprit et la perfection dernière de la constitution anglaise seraient que tous les rois fussent des reines, non à la façon de la reine Elisabeth, mais représentant aussi bien que celle qui règne aujourd’hui la majesté, la vertu et la modération couronnée, ainsi que l’amour dévoué à la prospérité, à la grandeur et aux libertés de l’empire britannique ; car au sommet de leur système politique les Anglais ne veulent qu’un trône occupé : le spectacle d’un trône vacant leur paraît dangereux et redoutable pour la tranquillité d’un pays.

Sans doute le roi dans le gouvernement anglais n’est pas toujours « réduit à l’état de zéro ou d’objet de parade, et il a encore assez d’influence pour faire sentir le poids de ses opinions et de ses préférences