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côté de la Manche, sur les esprits les plus expérimentés, les corruptions électorales. Le grand point aux yeux des Anglais, c’est que les représentans élus, fût-ce par de blâmables moyens, soient eux-mêmes incorruptibles, et lord Brougham affirme que, pendant les cinquante ans de sa vie parlementaire, il n’a jamais entendu exprimer un soupçon de corruption ou formuler un doute sur la pureté d’un seul des membres de la chambre des communes. Il propose bien quelque moyen d’atténuer le vice de la corruption électorale, mais laisse voir peu d’espérance qu’on puisse le supprimer jamais, et en prend fort tranquillement son parti. Il ne craindrait pas non plus le système du suffrage universel, dont les choix ne seraient pas très différens des choix actuels. Nous le croyons sans peine, car la puissance de la partie dominante de la nation est encore assez grande pour peser aussi bien su la totalité que sur une fraction des électeurs qui sont sous sa dépendance ou son influence immédiate[1].

Selon lord Brougham, qui regrette de ne pas voir une plus grande part attribuée aux ouvriers anglais dans l’administration des affaires publiques, le grand progrès réalisé depuis 1688 est la constitution pure du parlement et l’extension donnée à la base de l’a représentation populaire. Tant que la chambre des communes, élue par une fraction trop restreinte de la nation, fut ainsi dominée par les sentimens et les intérêts d’une classe spéciale, le gouvernement ressembla plus à une aristocratie ou plutôt à une monarchie aristocratique qu’à un gouvernement mixte participant à la fois des trois formes pures, aristocratie, monarchie, démocratie. « Ce ne serait pas trop subtiliser, dit à ce propos lord Brougham, que d’affirmer que la constitution anglaise avant la réforme de 1831 et 1832 avait plutôt les caractères d’une monarchie aristocratique que ceux de la triple combinaison dont lui faisaient honneur ses admirateurs passionnés. » Il n’y aurait donc, à vrai dire, pas plus de trente ans que l’Angleterre est parvenue à la réalisation complète du gouvernement mixte et parlementaire. « Mais, ajoute le noble lord, en 1832, notre constitution fut placée sur une base plus large et plus sûre, et, bien qu’il reste quelque chose à faire, avant que nous puissions affirmer que toutes les classes sont suffisamment représentées au parlement, toujours est-il que nous ne sommes plus exposés ni au danger de voir nos libertés détruites, ni à la nécessité d’avoir recours pour nous sauver aux hasards du droit de résistance, car personne ne saurait nier qu’une part considérable n’ait été faite au principe démocratique dans la combinaison de notre monarchie mixte. »

  1. Le duc de Bedford, qui disposait de six collèges électoraux, disait « qu’avec le suffrage universel, il aurait dans la main encore un plus grand nombre d’élections, » (Page 92.)