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anglaise, dit lord Brougham, est mixte, et non pas pure dans sa forme ; c’est une monarchie mixte, née de ce principe évident, qu’aucune des formes pures de gouvernement, monarchie, aristocratie où démocratie, ne suffit à la sécurité des droits d’un peuple et à la bonne administration de ses affaires. Toutes les formes pures de gouvernement donnent lieu aux mêmes objections, et sont pleines de violences, d’insuffisances et de dangers qu’on ne peut conjurer que par un mélange de pouvoirs combinés de telle sorte qu’ils se servent mutuellement de barrières et de contre-poids, car tant que l’homme sera soumis aux faiblesses de l’infirmité humaine, ceux qui auront le pouvoir en mains seront portés à en abuser. »

Certains esprits plus exigeans voudraient, pour trouver la définition pleinement satisfaisante, qu’on leur expliquât comment la constitution anglaise est faite, et pourquoi elle est ainsi faite. En effet, dira-t-on, quel fut le germe moral, quelle fut la tendance du caractère national qui fit naître et choisir la forme adoptée dans l’établissement des institutions de l’Angleterre ? L’esprit dominant qui constitua la France fut la tendance à l’unité de territoire et de nationalité par la centralisation monarchique, administrative et militaire, avec l’égalité pour passion et la gloire des armes pour premier penchant. Nos parlemens comme nos rois, la république comme le premier empire, ont tous marché dans ce sens, à travers bien des luttes et malgré les différens caractères des hommes et des temps. L’esprit des institutions anglaises, au contraire, est la tendance au self government, ce qui veut dire le citoyen administrant et gouvernant, sans pour cela devenir fonctionnaire. La constitution de l’Angleterre est donc une œuvre défensive contre tout pouvoir, elle est le rempart et le bouclier de la famille et de l’individu contre l’oppression d’un seul ou de plusieurs ; elle a pour but au dedans l’acquisition et la conservation de la richesse et de la liberté individuelle et politique, et au dehors la conquête commerciale et lucrative sous forme de colonies, avec l’empire des mers comme première ambition nationale.

Indiquer ces caractères dominans de la constitution anglaise, ce n’est pas la définir complètement. Personne n’ignore que cette constitution, monument antique et mystérieux, n’est point un corps de doctrines, un traité politique et philosophique, ou un contrat savamment rédigé d’après nos idées françaises. C’est un ensemble un peu obscur de lois nouvelles ou anciennes non abrogées et parfois contradictoires, un assemblage de traditions d’esprit public, d’usages et de formes neuves ou surannées, reliés par un amour du progrès égal au respect du passé, et qu’il faut étudier dans les faits comme dans les luttes de chaque jour depuis les temps les plus anciens.