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concitoyens. Leurs écrits offrent souvent comme un reflet de l’habitude de parler à une chambre ou à un meeting. Peu soucieux des hauteurs de la philosophie historique, la plupart ne sortent que bien rarement du domaine de l’utile et des intérêts nettement définis qui constituent la vie quotidienne et la prospérité pratique des nations. Un livre ainsi conçu et écrit ne saurait avoir d’analogue chez nous ; trop aride et trop diffus dans ses détails techniques pour le commun des lecteurs, trop dépourvu de déclamations séduisantes pour le grand nombre, il paraîtrait aux esprits d’élite manquer de vues d’ensemble et d’aperçus nouveaux ; on le trouverait aussi trop rempli d’enseignemens et de remarques connues, répétées avec une insistance souvent exagérée et un trop grand luxe de développemens. Dans la brusque et originale familiarité de sa forme, l’ouvrage de lord Brougham a tous ces caractères ; il est écrit pour un monde politique différent du nôtre. On devine que toute l’Angleterre lira le livre de ce vétéran des assemblées délibérantes, tour à tour libéral et conservateur, et qu’on le rencontrera aussi bien sur le bureau des ministres que dans les mains des commerçans ou des grands fermiers, grâce à cette diffusion de la science politique et économique qui est peut-être le plus précieux apanage de cette nation si souvent enviée.

L’ouvrage est dédié à la reine, et la dédicace n’en est pas une des pages les moins caractéristiques. Dans les quelques lignes où l’auteur offre à sa souveraine « le fruit des longues études, des calmes réflexions et de l’expérience de toute une longue vie passée dans les affaires, il considère comme une bénédiction » le système politique de son pays, en même temps qu’il laisse voir avec quelque orgueil que les nations étrangères, malgré leurs efforts d’imitation, ne pourront jamais parvenir à goûter les mêmes bienfaits ; il célèbre les vertus privées de la reine et l’usage strictement constitutionnel qu’elle fait de ses hautes fonctions, la remercie des honneurs particuliers qu’il en reçut, et témoigne de sa reconnaissance, partagée par un grand peuple, envers un règne qui fait la gloire, la sécurité et le bonheur de la nation. Heureux ceux qui n’ont pas eux-mêmes brûlé les dieux de leur jeunesse ou qui ne les ont pas, vu traîner par d’autres dans la poussière et l’ignominie ! Heureux le vieillard qui, à la fin d’une longue carrière, vient, comme lord Brougham, bénir son pays et ses lois, nouveau laudator temporis acti, non pour se plaindre des temps nouveaux, mais pour se féliciter du présent, tout en louant les jours passés !

Le sujet du livre est une histoire des longues luttes de la liberté contre le despotisme en Angleterre, et l’explication détaillée des vraies conditions de l’usage légitime de la liberté ; mais indépendamment