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d’essence et fortement enduite de limaille métallique. Ainsi préparée, la lanière acquiert une dureté et une pesanteur extrêmes ; mais avant qu’elle ne se durcisse, on a soin de replier sur eux-mêmes les bords amincis à dessein, et qui forment de cette façon une rainure s’étendant dans toute la longueur de la courroie, à l’exception toutefois de l’extrémité, laissée souple pour qu’elle puisse s’enrouler autour du poignet de l’exécuteur ; à l’autre bout est fixé un petit crochet en fer. S’abattant sur le dos nu du patient, le knout tombe de son côté concave sur la peau, que les bords de l’instrument coupent comme un couteau ; la lanière ainsi incrustée dans les chairs, l’exécuteur ne l’enlève pas, mais la tire à lui horizontalement, ramenant au moyen du crochet et par longues bandelettes les parties détachées. Si le bourreau n’est pas gagné et fait consciencieusement son métier, le supplicié perd toute connaissance après le troisième coup, et quelquefois il expire dès le cinquième. Un oukase de Pierre le Grand a fixé le maximum des coups à cent un ; mais on va rarement à cette limite, à moins qu’on ne veuille amener la mort. Notons aussi une singularité de la loi russe, qui veut que le chiffre de coups de knout soit toujours impair. L’échafaud sur lequel le patient est placé s’appelle en russe une cavale (kobyla) : c’est une planche inclinée sur laquelle on attache l’homme, le dos nu ; la tête étant fortement appuyée sur le bord supérieur, les pieds sur le bord inférieur, et les mains liées embrassant la planche, tout mouvement devient impossible. Après avoir appliqué le nombre de coups prescrit, on détache le malheureux et on lui fait subir à genoux le supplice de la marque. Ce sont les lettres vor (voleur, malfaiteur), taillées en pointes de fer sur une estampille que le bourreau lui enfonce dans le front et les deux joues. Pendant que le sang coule, on enduit les plaies d’une essence noire, dans la composition de laquelle entre de la poudre de chasse. Ces plaies guéries, la marque prend une teinte bleuâtre et reste toute la vie. Autrefois, après avoir ainsi marqué l’homme, on lui arrachait encore les narines avec un instrument de fer ; mais un oukase des derniers temps d’Alexandre Ier a définitivement aboli ce surcroît de barbarie. J’ai cependant rencontré en Sibérie plus d’un condamné aussi hideusement défiguré ; tous appartenaient à l’époque antérieure à la publication de l’oukase. Quant à ceux qui portaient sur leur visage la triple inscription de vor, j’en ai vu en Sibérie un nombre incalculable. Je crois cependant que les femmes ne sont pas passibles de ce châtiment, et je n’en vis aucune qui portât la triple marque.

Le plète, qu’on confond si souvent et à tort avec le knout, est un instrument de supplice moins terrible. Ce sont trois fortes lanières terminées au bout par des balles de plomb ; l’autre extrémité s’en-