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On ne peut s’y méprendre en effet. Peut-être eût-il été plus sage à l’origine de se rendre un compte exact des difficultés qu’on devait rencontrer, de ne point aller au Mexique, ou du moins de réduire l’expédition à des proportions moins étendues, moins solennelles, en se bornant à une action sommaire et précise. Dès que l’intervention avait pris un autre caractère, et que des corps d’armée européens étaient sur le sol du Mexique avec le dessein avoué d’aider la nation mexicaine à secouer l’anarchie qui la dévore, il n’y avait plus à hésiter. Reculer après avoir tant fait, c’était s’exposer à une déconsidération inévitable, et laisser les intérêts européens sans garantie pour l’avenir. A quoi pouvait servir de négocier avec un pouvoir qui a cent fois violé tous ses engagemens? Signer avec lui des préliminaires, n’était-ce pas lui donner du temps et lui conférer en quelque sorte ce caractère d’un pouvoir régulier et légal qu’on refusait justement de reconnaître? N’était-ce pas de plus décourager tous les Mexicains décidés à faire une tentative suprême pour sauver leur pays de la ruine par une organisation plus forte? Croire qu’on pourrait éluder la guerre, que toutes les questions pourraient se résoudre pacifiquement, et que ces hommes qui occupent actuellement le pouvoir à Mexico disparaîtraient d’eux-mêmes de la scène, ou seraient intimidés, c’était une chimère. Bien loin d’être intimidé, le gouvernement de M. Juarez n’a fait que s’enhardir au contraire et multiplier les violences. Assailli d’un côté par la guerre civile, de l’autre par les puissances alliées, qu’il a réussi un moment à réduire à l’inaction, M. Juarez a profité de ce répit pour se livrer à une recrudescence de fureur désespérée. C’est ainsi qu’il y a peu de temps, presque en présence des forces européennes, il faisait fusiller un des chefs militaires les plus distingués du Mexique, le général Robles Pezuela, sur le simple soupçon qu’il était en connivence avec les alliés. A Mexico même, au mépris de tous les intérêts étrangers, il a redoublé d’exactions, de contributions forcées équivalant à de véritables spoliations. Ainsi les alliés, après six mois, se trouvent juste au même point, placés dans la nécessité de recommencer une entreprise ingrate sans doute, hérissée de difficultés, mais à laquelle est attachée désormais la considération européenne. Il reste à savoir ce que fera l’Espagne en présence des résultats d’une convention qu’elle a approuvée un peu par jalousie des combinaisons françaises. Quant à la France, elle semble décidée à marcher aujourd’hui en avant pour aller résoudre la question à Mexico. Et en vérité y aurait-il rien d’autre à faire? Ce n’est que par de la décision et par le succès qu’on peut arriver à créer le terrain nouveau d’une combinaison possible, si tant est qu’il y ait des combinaisons possibles, efficaces et durables au Mexique.


CH. DE MAZADE.