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l’Espagne est arrivée avant tout le monde au Mexique, cédant trop visiblement à l’impatience assez vaine de planter la première son drapeau à la Vera-Cruz, et déployant une ostentation de forces qui mettait la France dans la nécessité d’augmenter elle-même son corps de débarquement pour rétablir l’équilibre des rôles, un peu troublé par cette brusque entrée en action. Il est évident que si l’Espagne, en prenant les devans, comptait s’assurer une certaine prépondérance dans la direction de l’entreprise, elle faisait un calcul imprudent, et elle se préparait une déception qu’elle a ressentie en effet, lorsque le corps expéditionnaire français a été accru. Le décousu a continué et s’est manifesté d’une manière bien plus sensible le jour où, au lieu de marcher sur Mexico, comme tout semblait l’indiquer, les chefs des forces alliées ont signé le 19 février ce qu’on a appelé les préliminaires de la Soledad : convention qui, à vrai dire, diminuait singulièrement le caractère de l’intervention, et qui, approuvée par l’Angleterre et l’Espagne, a été désavouée par la France. C’est là réellement le nœud de la question aujourd’hui. La convention préliminaire de la Soledad a créé pour un moment une situation entièrement distincte de celle qu’on avait prévue, et elle a surtout fait éclater la divergence entre les puissances alliées. Que l’Angleterre ait accueilli cette perspective d’une négociation nouvelle, quelque problématique qu’elle fût, et qu’elle ait saisi cette occasion de rappeler la plus grande partie de ses forces, cela n’a rien de surprenant: elle avait déclaré dès le premier instant qu’elle ne quitterait pas le littoral, qu’elle n’enverrait pas un corps d’opérations, que la France et l’Espagne étaient libres d’agir seules; mais ce qui est plus singulier et plus difficile à définir, c’est la part de l’Espagne dans cette œuvre confuse qui se déroule depuis six mois. Au premier instant, l’Espagne se hâte d’arriver à la Vera-Cruz avant ses alliés et semble dévorée de l’ardeur d’agir; puis bientôt, lorsque l’heure de l’action est venue, le chef de ses forces, le général Prim, s’arrête tout à coup; il signe des préliminaires qui n’ont assurément rien de décisif, qui annoncent une négociation, et qui, en permettant aux forces alliées de s’avancer dans l’intérieur pour chercher des positions plus salubres, leur font une obligation de rétrograder, si la négociation échoue. Qu’y a-t-il en tout cela? Le général Prim, qui a des alliances de famille au Mexique, a-t-il cédé à des considérations personnelles et a-t-il agi de lui-même? A-t-il au contraire représenté exactement en cette circonstance la pensée de son gouvernement? Ce qui est certain, c’est que les combinaisons dont on attribue l’idée première à la France ne sont nullement en faveur au camp espagnol, et que le général Prim, qui se trouvait pour le moment le chef des forces les plus considérables, qui était par conséquent le seul en position d’agir, a eu la plus grande part dans les préliminaires de la Soledad : de telle sorte que l’Espagne, après avoir un instant compromis l’expédition au début par trop de précipitation, a contribué bientôt à en suspendre le cours et à la dénaturer.